Il y a deux jours, Dorham a publié un billet. Tu te souviens sans doute que ce blogueur avait décidé de mettre un terme à sa carrière, décision sur laquelle il est revenu il y a trois semaines, après avoir fait quelques apparitions en commentant chez nos congénères. Là, il poste un texte concernant les réactionnaires et leur stratégie politique actuelle. Nous avions, avec mes deux camarades des Gueules, été confrontés à l'argument bienpensant lors de la polémique avec les occidentalistes et il est régulièrement revenu. Cependant, même si le billet est intéressant, il faut s'intéresser aux commentaires. Dorham me fit une réponse que voici, dans laquelle je souligne les passages qui m'intéressent :
« Mathieu,
[…] Par ailleurs, je ne suis pas d'accord, les réacs débattent et c'est exactement ce que je leur reproche, tout comme à leurs adversaires. En réalité, plus exactement, ce que je leur reproche, c'est de faire croire que leurs velléités de débat manifestent un amour de la libre-expression. Le débat est une sorte de sclérose démocratique (j'insiste là-dessus), qui prétend vouloir défendre la liberté et le respect des opinions, c'est évidemment tout le contraire.
Qui débat et prétend ne pas vouloir l'emporter, ne serait-ce que moralement ou sous forme de traits d'esprit, est un menteur. Qui débat veut le silence. Nier cela, c'est nier l'évidence. »
Dorham fait ici une erreur fondamentale. Il est incontestable que le but d'un débat est de l'emporter sur l'autre, mais vous aurez remarqué que cela n'arrive jamais en démocratie. Parfois, un groupe parvient à imposer ses idées aux autres, gagne des élections et gouverne. Cependant, comme le débat se poursuit, ce groupe perd le pouvoir quelques temps plus tard.
Le débat ne permet pas aux participants d'échanger, mais il leur permet d'éviter d'utiliser la violence pour s'imposer aux autres. Certes, si j'écoutais mon inconscient, j'aimerais bien que de nombreux courants politiques que je n'apprécie pas se taisent (les réactionnaires, les libéraux qui n'en sont pas, les socialistes totalitaires, les islamistes …). En clair, dans un monde idéal, j'aimerais que personne ne puisse l'ouvrir, à l'exception de ma petite personne, à part pour dire : « oui, privilégié, tu es formidable ! » Et les autres, hop, au goulag !
Or, malgré ce désir profond qui se loge en chacun de nous, nous ne pouvons assouvir notre penchant destructeur. Nous sommes forcés de nous contenter du débat et de l'élection, en sachant que nos adversaires politiques sont toujours là, prêts à en découdre. Nous sommes bien obligés, aussi, de nous rendre compte que nos adversaires politiques sont membres de la même communauté que nous. Enfin, l'existence d'opposants nous permet de nous améliorer, en éliminant les arguments les moins percutants, en problématisant autrement et en faisant évoluer nos propositions.
Lorsqu'une démocratie ne permet pas cela, elle échoue. Le meilleur exemple historique que nous avons de ce phénomène reste la tentative de la IIème République espagnole. Fondée en 1931, elle connut deux alternances. Immédiatement, elle dysfonctionna parce que les deux principaux camps (droite et gauche) ne tolérèrent pas que l'autre puisse appliquer son programme : l'arrivée au pouvoir de l'adversaire signifiait une menace trop forte sur son propre camp. Seule la guerre et la dictature appliquée par le camp vainqueur ont permis une forme de résolution du problème, en éliminant l'un des deux camps, enterrant la démocratie pour 36 années…
Ce débat permanent est tout sauf un facteur de sclérose : il est au contraire le seul moyen pour qu'une société fonctionne sans régime dictatorial et tueries régulières. La preuve en est que même les idéologues fanatiques de la dictature peuvent s'exprimer librement…
…même s'ils risquent de gagner les élections, ce qui ne doit pas arriver si le système démocratique bénéficie au plus grand nombre.
N'empêche qu'il existe une limitation à ce débat : des tabous, imposés par la loi ou par les règles, non-écrites mais partagées, de savoir-vivre. Dorham traite de ce thème dans son billet. Nous en reparlerons.
PS : vous remarquerez que, si j'étais au pouvoir, j'enverrais les gens au goulag. On voit bien là de quelle culture politique j'ai été le plus proche dans mon passé…