mercredi 4 novembre 2009

Plongée chez Pearltrees et réflexions plus générales sur le travail.

Hier midi, j'ai eu le plaisir de visiter Pearltrees, la petite société web qui monte qui monte, et dont je fais d'ailleurs un usage assez important. Pour moi, c'était très intéressant : je n'ai que très rarement l'occasion de me plonger, même quelques instants, dans la vie d'une entreprise, et d'autant plus dans la vie d'une petite entreprise web innovante qui est en pleine croissance. Je remercie Patrice, François et surtout Julien (qui a dû me supporter pendant une heure en train de déblatérer politique et relations sociales durant le déjeuner) de la sympathie de leur accueil. En entrant, j'ai eu deux surprises.

La première fut lorsque Julien me montra une série de piles de papier, disposée apparemment dans un ordre très pensé, et m'expliqua qu'il s'agissait de l'architecture de Pearltrees, depuis ses débuts jusqu'à ce jour. Chacune était couverte de post-it, indiquant les remarques et réflexions des salariés. Ainsi, je découvrais que les super-techniciens de Pearltrees fonctionnaient avec des outils de « haute-technologie » : le papier et les stylos. Bon, apparemment, c'est courant dans les sociétés travaillant sur les logiciels et le web, et j'ai donc eu l'air d'une cruche : excusez, les gars, mais c'était un dépucelage de SS2I.

La seconde, que Manuel aurait adorée, fut de découvrir, chez Pearltrees, l'open-space intégral. Nous avons souvent débattu de la question de l'open-space sur les Gueules, Manuel se faisant un défenseur de ce système, tandis que Fabrice et moi nous placions dans l'opposition. Là, les sept techniciens sont tous installés autour d'une table unique, avec les ordinateurs. Juste derrière, se trouvent les trois autres salariés de la société. Vu qu'on se trouve dans un grand espace ouvert (à l'exception d'une salle de réunion fermée par des vitres), il n'y a donc aucun moyen de s'isoler en tant qu'individualité.

En tant que professeur très individualiste (je sais, cela peut surprendre chez quelqu'un qui défend le collectif en permanence) et ne supportant que très mal le regard que les autres peuvent porter sur mon travail (que je réserve à mes élèves qui savent très bien me faire sentir lorsque les cours sont ratés), toute une flopée de questions m'arrivèrent à l'esprit, que j'assénais à Julien quelques minutes plus tard : mais comment gérez-vous les conflits ? Vous devez bien avoir envie de vous taper dessus une fois de temps en temps ? Et votre président, il est tout le temps là ? Comment supportez-vous la pression qu'il doit forcément exercer, en tant que représentant du patronat exploiteur sur ses salariés exploités ?

Ces questions viennent de ma pratique du travail, des problèmes que j'y rencontre, mais aussi de mon habitude de travailler dans une structure très lourde qui pose de réelles questions d'organisation.

Julien défendit ce modèle : les décisions se prendraient en commun ; la discussion permanente permettrait d'éviter les conflits ; le président serait tout autant sous le regard des autres que les salariés, dont une bonne partie est de toute façon composée de fondateurs de la société ; les conflits sont rares et tout le monde s'entend bien.

C'est marrant : en ce moment, je me pose beaucoup de questions sur la représentation des personnels, l'action syndicale et les processus qu'il faudrait développer pour rénover tout cela. Or, en voyant le fonctionnement de Pearltrees, je me suis vraiment posé deux questions :

  • Comment, dans une société de ce type, avec des rapports humains de ce type, peut-on gérer les rapports de force inhérents à toute structure de travail, quelle qu'elle soit ? Apparemment, chez Pearltrees, cela se passe bien, et j'ai même eu l'impression que la question ne se posait même pas, mais on sait que les PME françaises ne sont pas exemptes des conflits du travail. Or, même si je n'ai pas, évidemment, interrogé Julien sur cette question, je suppose qu'il n'y a aucun militant syndical dans cette structure.
  • Seconde question qui découle de la première : Julien m'a expliqué qu'en dehors de ce fonctionnement très local, le contrat de travail était encadré par une convention collective de branche. Mais dans ce cas, comment les syndicats qui négocient ces conventions peuvent avoir une quelconque idée de ce que pensent les dix salariés de Pearltrees de leurs conditions de travail, du temps de travail, des retraites, des salaires ? Il n'y a personne, pas de relais de leur opinion, et finalement, aucun contrôle de ce que font les organisations théoriquement représentatives. Ici, la démocratie sociale n'existe pas au-delà de l'entreprise, et ce n'est pas en votant une fois de temps en temps aux Prudhommales que ces salariés se feront entendre. Que font maintenant les syndicats pour tenter de prendre contact avec tous ces personnels ? Mystère…

Cher lecteur, je vais bientôt commencer une série de billets sur le syndicalisme, que j'inaugure ici par ces quelques réflexions sur ce qu'il se passe dans une petite société.

En tout cas, je remercie vraiment l'équipe de Pearltrees pour son accueil, très riche d'enseignements pour moi, et qui va susciter plusieurs billets thématiques. J'espère qu'ils comprendront bien que je ne juge pas du tout leur fonctionnement, simplement que je profite de mes expériences pour enrichir mes réflexions.

17 commentaires:

  1. Dans les petites structures, la personnalité du patron joue énormément. Par exemple, si le patron oppresse les salariés, ils arrêtent d'écrire sur leurs blogs respectifs. Ou alors, c'est juste qu'ils sont passionnés par leur job. :-()

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  2. Qu'est-ce qu'ils t'ont filé à bouffer ?

    L'open space est acceptable dans les petites structures mais devraient être strictement interdit dans les grandes... J'en ai vaguement parlé sur mon blog (mais c'est assez dur pour moi puisque ça nécessite de parler de relations de travail, ce que je m'interdis).

    Et quand je dis "interdit", je pèse mes mots : il faudrait en plus émasculer les types qui imposent ça à leurs employés au nom de la modernité.

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  3. C'était un plaisir! Reviens quand tu veux!

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  4. @ Abadinte : la passion pour son métier n'empêche pas les conflits (j'en sais quelque chose)...

    @ Nicolas : un petit café très agréable à proximité de Pearltrees.

    Emasculer, quand même... Il faudrait juste leur couper les couilles.

    @ Julien : merci encore.

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  5. Comme je n'ai jamais eu à subir d'autres contraintes que les miennes, j'aimerais bien savoir ce qu'est une structure très lourde?

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  6. @ Le Coucou : c'était une blague par rapport au classement Wikio, rien de plus, camarade.

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  7. De mon point de vue, une approche passionnante à plusieurs titres.

    Cela dit, je crois que la différence entre pearltrees et les grandes entreprises traditionnelles va bien au delà de ce que tu as déjà noté.

    Pearltrees a été construit autour d'une idée simple et folle : achever la démocratisation du Web en permettant à chacun d'organiser son Web. Rien d'étonnant donc que l'organisation de pearltrees soit elle-même un peu particulière...

    Un exemple parmi beaucoup d'autres : les "salariés" de pearltrees détiennent ensemble prés de la moitié du capital de la société. D'un coté, ils dépendent donc certes de leur patron -c'est à dire de moi- mais de l'autre coté, leur patron -toujours le même- dépend aussi complètement d'eux. Cela transforme pour le moins le conflit capital/travail et le rapport employeur/employé traditionnel!

    L'organisation du travail -dans son sens le plus profond- est en tout cas un sujet central pour moi. Et si ta curiosité s'éguise sur le sujet, j'aurai le plus grand plaisir à continuer à en discuter.

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  8. @ Patrice : tout à fait, ces questions m'intéressent beaucoup, et je suis tout à fait prêt à en rediscuter, en particulier sur les manières de gérer ce rapport capital/travail. En fait, si je comprends bien ton commentaire, vous avez tenté de lisser cette question en divisant le capital avec les salariés ?

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  9. Il s'agit bien plus que de la lisser : il s'agit réellement de la transformer!

    Du reste, c'est le cas de bien des start-up Web à succés. L'alignement des intérêts de chacun est nessaire pour réaliser une création collective véritable. En sortant du monde technologique, tu peux aussi penser à une troupe de théatre, un groupe de rock ou de Jazz...

    Sans verser dans l'utopie, les formes d'organisations sont au fond très variées et les modèles strictement hiérarchiques ou rigidement tayloriens sont de moins en moins souvent des nécessités.

    Mais je vois quelques salariés qui s'approchent et qui me demandent si je n'ai rien d'autre à faire de mes journées que de commenter sur les blogs ;-) en tout cas, je suis ok pour un interview quand tu veux sur le sujet.

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  10. Si je comprends bien, il n'y a que moi qu'ils ont forcé à bouffer des machins chinois en buvant de l'eau !

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  11. C'est émouvant de vous voir découvrir le monde du travail...

    (Smiley, bordel !)

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  12. Dit le type assure trois jours de présence par semaine chez son patron.

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  13. Oh Patrice, tu va bosser maintenant!

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  14. Hé ho ! C'est lui le patron.

    Et tes perles sur PMA, toi ?

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  15. Allez Patrice, encore un effort, et vous allez redécouvrir les SCOOP ...

    (c'est dit aussi avec un smiley et sans le bordel parce que je suis polie, MOI !)

    Mais sinon, moi aussi, c'est un sujet qui m'intéresse beaucoup.

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  16. Nicolas : pourquoi croyez-vous que j'ai mis un smiley ?

    Audine : mais moi aussi, je suis poli, nom d'une pute borgne et vérolée !

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  17. @ Patrice : cependant, Pearltrees est bien une entreprise capitaliste, et il y a donc des rapports de force, de fait. Bon, je vais réfléchir à l'idée d'une interview.

    @ Nicolas : de l'eau ??? Ah bon. Moi, j'ai eu le droit à du vin. C'est ça, d'être privilégié.

    @ Didier : j'admets, le bon mot passé, que je n'ai travaillé que dans de grosses structures, lorsque je bossais comme étudiant dans le privé et aujourd'hui dans le public. Il est donc intéressant de voir comment ça marche dans ces entreprises-là.

    @ Nicolas : ils doivent se dire qu'il vaut mieux l'avoir quatre jours par semaine à son domicile...

    Smiley, bordel !

    @ Audine : nos activités nous amènent à ces sujets-là.

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Laissez-moi vos doléances, et je verrai.

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