samedi 21 novembre 2009

La notion de Panthéon : à revoir.

L'affaire du transfert des cendres d'Albert Camus vient de rebondir ce soir, avec le refus de son fils d'accepter la demande présidentielle. Je vais laisser la polémique à mes camarades pour me poser ce soir une question simple : pourquoi ressortir maintenant le Panthéon ?

Faisons, quelques instants, un peu d'histoire : depuis 1791, avec deux interruptions tout de même, le Panthéon a été conçu comme un temple civique, censé glorifier d'abord les héros de la Révolution française, puis la République et en même temps la France et sa riche histoire. Ainsi, toute une disposition particulière des corps de ces grands hommes (il n'y a qu'une femme dans mon souvenir, Marie Curie) est organisée pour symboliser une histoire de notre pays. La première fois que j'ai visité ce monument, je me souviens avoir été très frappé par la mise en scène autour des deux corps de Voltaire et de Rousseau, mis face à face, dans le but de symboliser leur affrontement philosophique, si important pour les révolutionnaires.

Au XIXe siècle, cette église républicaine avait un sens, avec une jeune révolution qui tentait de survivre et de s'affirmer face aux multiples symboles royaux. Ensuite, progressivement et malgré l'influence des deux Empires, la République a repris le Panthéon à son compte et s'en est largement servi. La Ve République n'a pas démérité, puisqu'elle a fait entrer 10 personnes au Panthéon, Alexandre Dumas étant le dernier à avoir été installé là, en 2002. Sarkozy se place donc dans une vieille tradition pour les présidents de la Ve, puisque De Gaulle, Mitterrand et Chirac avaient déjà eu cette pratique.

Pourtant, dans une société moderne et stabilisée, je ne vois pas bien l'intérêt de poursuivre ce genre d'actions. Qui, aujourd'hui, se soucie de savoir qui entre dans ce temple ? Je ne dis pas que Camus ne méritait pas cet honneur, mais que cela n'a plus grand sens aujourd'hui. De plus, s'il ne s'agit plus d'installer la Révolution ou la République, c'est donc bien pour un usage strictement politicien qu'on use encore de cet endroit. Enfin, il s'agit encore d'une manière, pour l'État, de fixer sa version de l'histoire, en décidant qu'un écrivain, ici Camus, a eu, pour notre pays, davantage d'importance qu'un autre. Le fait que Sarkozy prenne cette initiative n'est pas innocent : il avait déjà décidé que Môquet était le symbole de la résistance. Voici maintenant venu le temps du symbole de la littérature.

Le Panthéon est aujourd'hui un monument, une source sur la manière dont notre État, à certains moments, s'est mis en scène et a mis en scène les acteurs de notre histoire. Il est passionnant pour cela. Maintenant, il serait temps que l'État sorte de ces actes politiques et cesse de vouloir instrumentaliser notre histoire. Laissons aux spécialistes, aux historiens, aux citoyens eux-mêmes, la liberté de choisir leurs écrivains. En proposant d'ailleurs l'étude de certaines œuvres aux enfants dans les programmes scolaires, la République prend déjà le parti de privilégier certains auteurs contre d'autres. Cela devrait largement nous suffire, sans y ajouter ce décorum, matinée de manipulations politiques grossières…

11 commentaires:

  1. un joli rappel, mathieu, que je connaissais pas

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  2. "Laissons aux spécialistes, aux historiens, aux citoyens eux-mêmes, la liberté de choisir leurs écrivains." Oui.

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  3. Du calme le privilégié! Le Panthéon n'est pas un temple nationaliste ou identitaire comme la place des héros de Budapest! Voltaire est entré au Panthéon en 1791 et Rousseau en 1794, Ces deux là y ont même la place d'honneur. Si les maréchaux de l'empire y ont été placés c'est en tant que fils de la Révolution. Souvenons-nous de Victor Hugo qui les a rejoint en 1885, Jean Jaurès en 1924 et Jean Moulin en 1964. "la Patrie aux grands hommes reconnaissante", c'est ce qui est marqué au fronton de ce temple de la République qui est au service de l'universel en France. Ce n'est pas écrit la Patrie à SES grands hommes... tout cela fait sens! Je ne suis pas d'accord pour dire que le Panthéon est devenu inutile. On est pas arrivé à la fin de l'Histoire! En des temps moins médiocres ou plus dramatiques on y reviendra. En revanche ok pour dire que Sarkozy a voulu une fois de plus jouer un petit jeu dangereux de mise en concurrence mémorielle. Cela mériterait un billet mieux ciblé de la part du Privilégié qui à mon avis n'a pas détecté les véritables ressorts de la manoeuvre de notre omniprésident. Celui-là il ferait rentrer la comtesse de Ségur au Panthéon si ça pouvait lui servir. En attendant, la famille de Camus s'honore d'avoir éviter le piège.
    G.

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  4. @ Peuples : merci.

    @ Nicolas : ok.

    @ G. : je suis en désaccord. Je crois que l'ultra-majorité des Français se fiche de ce lieu. D'autre part, la distinction entre "aux" et "ses" est réelle, mais je ne crois pas que cela change la réalité du sens de ce monument. Quant à la manœuvre du président, je l'ai vue, mais d'autres blogueurs en ont parlé, bien mieux que moi.

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  5. Alors pourquoi le Privilégié défend le 11 novembre? Si je suis son raisonnement, là aussi "l'ultra majorité des Français ce fiche" de cet anniversaire. Le privilégié ne se contredirait-il pas? Et le soldat inconnu aussi, il faut le jetter à la fosse commune?
    Aller sans rancune, mais encore une fois j'ai du mal à comprendre.
    G.

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  6. @ G. : pour moi, célébrer le 11 novembre a un impact sur la société actuelle et un vrai sens. Ce n'est plus vraiment le cas du Panthéon. La manière de faire est trop ancienne et mal adaptée à notre époque.

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  7. C'est exactement avec ce type d'argument que Sarko a cru pouvoir prétendre changer la nature du 11 novembre. Pour revenir au sujet du billet, je n'ai jamais compris pourquoi le Panthéon suscitait tant la vindicte des beaux esprits. Peut-être que le lieu a perdu de son souffle quand on a occulté les baies qui illuminaient l'intérieur et qui faisaient de l'extérieur un véritable diamant. On les a remplacé par les peintures murales de Puvis de Chavanne et on a complétement dénaturé ce miracle de l'architecture des Lumières. Faites le tour exterieur vous verrez encore à l'oeil nu l'ampleur des dégâts. C'est ainsi que la IIIe République a réduit l'ancienne église Sainte Geneviève en un mausolée borgne qui a fini par révulser beaucoup de monde. Faites une visite à l'église Saint Sulpice ou à la cathédrale de Boulogne-sur-mer pour reconstituer ce que devait être le Panthéon. Il faudrait démonter les peintures; quelqu'un m'accompagne pour fonder une association et faire du lobbying, genre "sauvons le Panthéon"? Le monument en a besoin de toute façon puisqu'il s'écroule à cause des tirants en fer qui faisaient tenir cette dentelle de pierre dénaturéé sans raison au tournant du XXe siécle. Qui sait encore que l'architecte Soufflot était un expert amoureux des cathédrales gothiques?
    G.

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  8. @ G. : le Panthéon ne suscite pas ma vindicte, je ne vois juste pas l'intérêt de continuer à le remplir. Je ne discute pas non plus de l'intérêt de cette église, mais du concept de Panthéon.

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  9. Mais est-ce que Sarkozy a lu ce qu'écrivait Camus à propos de la princesse de Clèves ?

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  10. ha ouiiii ça me rappelle: en février dernier avait eu lieu un truc génial devant le Panthéon: une lecture marathon de la princesse de Clève pour faire la nique à notre pauvre Président, cet incompris porte-parole des humbles et des réprouvés.
    G.

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  11. @ Oaz : a-t-il déjà lu Camus ?

    @ G. : pourtant, il aime bien courir, notre président...

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