Regardons un peu la situation. Je suis, cher lecteur, enseignant depuis huit ans maintenant. J'en ai fait, des grèves et des manifs, à tel point que je suis incapable de t'en dire le nombre exact. En tout cas, j'y ai mis des centaines d'euros. Tout cela pour quoi ? Depuis 2001, le syndicalisme enseignant n'a remporté aucune victoire significative. En 2003, nous avons fait une grève très dure et très longue. Personnellement, j'ai perdu un mois de salaire sans aucun résultat positif. Depuis, nous allons de journée de grève en journée de grève. Nous avons eu 0,5% d'augmentation par ci, 0,8% par là, mais nous avons été incapables de bloquer les suppressions de postes et l'évolution libérale de l'offre éducative.
Pour les mouvements interprofessionnels, les résultats sont similaires. Certes, il y a bien eu la victoire contre le CPE, mais je reste convaincu qu'elle est davantage le résultat de la défaite politique de Dominique de Villepin contre Sarkozy que de l'ampleur des manifestations. A part ça, depuis 1995, je ne vois rien, absolument rien de positif qui ait été obtenue par la lutte sociale.
Souvent, on lit que ces échecs sont liés à la division du syndicalisme français. On met aussi en avant le fait qu'un syndicat unique rendrait de bien meilleurs services aux salariés. L'histoire démontre pourtant le contraire. Le Royaume-Uni est dominé par un syndicat, le Trade Union Congress, qui a été incapable d'appuyer la grande grève des mineurs de 1983 et de bloquer les réformes néolibérales de Margaret Thatcher. Aujourd'hui, le mouvement syndical anglais est moribond et la situation des pauvres et des classes moyennes de ce pays s'est largement dégradée. En France, on a fait un peu mieux avec des syndicats divisés. Après tout, cet éclatement illustre la situation idéologique actuelle du paysage idéologique syndical français (en particulier la différence entre syndicalisme révolutionnaire et syndicalisme réformiste) et est aussi un gage de démocratie : le salarié a le choix et peut aller où bon lui semble selon ses convictions.
Le problème est bien davantage lié à la crise idéologique que connaît le syndicalisme, comme d'ailleurs l'ensemble des mouvements progressistes, depuis la dépression des années 1970 et les succès idéologiques de la droite néolibérale. Nous souffrons d'un manque de courage certain, de difficultés à sortir des modèles marxistes-léninistes et à rénover nos idées, d'absence d'une perspective politique crédible, et d'une dégradation des conditions de travail des salariés qui a affaibli les mouvements sociaux. A ce jour, les syndicats, enseignants et/ou autres, n'ont pas été capables de mener le travail nécessaire et se sont embourbés dans la gestion et l'accompagnement du mécontentement.
Les mouvements récents en sont la démonstration. Le contexte de crise a fait croître les contestations. L'échec du modèle néolibéral de croissance par la dette a subi un el camouflet que le contexte est idéal. Or, les centrales parviennent à se mettre d'accord sur un appel mou pour le 29 janvier, histoire d'occuper le terrain. Surprise : l'action est un succès ! Devant cette attente des travailleurs, les syndicats mollassons sont obligés de rappeler au 19 mars, avec un nouveau succès. Or, comme on ne sait pas quoi faire de cela, on parvient à un appel unitaire unique dans l'histoire, mais qui devrait s'arrêter là. Certains évoquent un nouvel appel le 19 mai mais sans grève. A l'évidence, les centrales sont démunies et craignent qu'un mouvement les déborde, sans aucune suite possible.
Pourtant, l'attente existe chez les salariés et elle est forte. Dans les mouvements en cours localement, les représentants syndicaux jouent un rôle positif. Les Français manifestent massivement et les syndicats conservent malgré tout une bonne image, bien plus que les partis. Le mouvement social a remporté dans le passé de réels succès. Les Français sont en attente d'une alternative autant sociale que politique.
C'est donc à nous, à gauche, de faire des efforts, de proposer, de déconstruire les discours de nos adversaires, de montrer que nos propositions valent le coup d'être tentées. Il ne faut surtout pas renoncer.
Et demain, on va montrer au gouvernement et au patronat qu'on veut autre chose. Cela ne va peut-être pas avoir de résultats tangibles de suite, mais une chose est sûr : ça défoule !
PS : rendez-vous, pour les Parisiens, à 14h30 à Denfert-Rochereau. La manifestation empruntera le boulevard Denfert, le boulevard Saint-Michel, le boulevard Saint-Antoine, la rue de Rivoli et s'achèvera à la Bastille.