dimanche 1 juin 2008

Cher lecteur, combien de temps es-tu prêt à travailler?

Ca y est, cher lecteur, enfin, ta joie explose. Nicolas Sarkozy a enfin compris ce que tu voulais depuis toujours. Il sait que tu es profondément frustré. A cause des socialos-communistes, tu ne peux plus travailler autant qu'avant. Autrefois, tu bossais dur et 39 heures par semaine. Ton salaire augmentait régulièrement car ton patron, fier de tes efforts et de la plus-value que tu apportais à l'entreprise, te récompensait grassement. Ah, c'était le temps où tu étais beau et sentais bon le sable chaud... Mais, voilà que débarquant directement de l'ex-URSS (cette histoire d'île de Ré était un canular), l'ignoble Jospin, accompagné de l'infâme Aubry, ont fait voté à un Parlement médusé une série de lois ignobles: les lois sur les 35 heures. Depuis, tout est fini: tu ne peux plus travailler librement et exprimer toutes tes potentialités, ton salaire n'augmente plus et ton patron est totalement dépressif.
Heureusement, cher lecteur, l'UMP est là pour te venir en aide! Raffarin avait déjà fait une partie du travail mais s'était heurté à l'immobilisme du président de l'époque. Mais, maintenant, nous sommes en mouvement: le preux Xavier Bertrand se prépare à achever la réforme et à libérer à nouveau tes potentialités. Ouffff....
Là, lecteur chéri, je sais que tu t'inquiètes. Tu pensais que l'auteur était de gauche et tu te demandes où tu es tombé. Je te rassure, je n'ai pas totalement disjoncté, mais je me pose en effet beaucoup de questions sur ces fameuses 35 heures.
En effet, le MEDEF et la droite ont fait de ce temps de travail la cause de tous nos problèmes. Nous serions le peuple qui travaille finalement le moins au monde, et nous ne parviendrions pas à résister à la mondialisation. On se demande pourquoi le PIB de la France continue de croître obstinément depuis le vote de cette loi (1441 milliards d'euros en 2000 contre 1594 milliards en 2006 en euro constant 2000), pourquoi la France voit son attractivité pour les investisseurs étrangers se maintenir au troisième rang mondial, selon le gouvernement lui-même, pourquoi elle reste l'un des États les plus puissants économiquement de la planète.
Ce raisonnement ignore aussi la popularité de la mesure. Régulièrement, j'entends les Français me dire à quel point les professeurs sont des privilégiés avec leurs longues semaines de vacances qui s'étalent tout au long de l'année. Cependant, en 2002, le ministère de l'Education Nationale, et pas les syndicats enseignants, affirmait que les profs profitaient en réalité d'environ 8 semaines de vacances, car les autres étaient occupées à travailler, pour la préparation des cours. Or, si on ajoute les cinq semaines de congés payés et les RTT, les Français qui ont un travail à temps plein ont des conditions de repos quasiment équivalentes. Les lois 35 heures ont donc octroyé à de nombreux Français les privilèges des enseignants. Certains démographes expliquent même le redémarrage de la natalité par cette réforme, et il faut aussi noter le développement des loisirs et de la consommation grâce au temps dégagé.
Malgré tout, je continuais à me demander si le raisonnement de la droite n'a pas des fondements justifiés. Alors, cher lecteur, je me suis dit qu'il fallait que je t'aide, et que je m'aide par la même occasion, à te faire une idée. Je suis donc allé sur le site de l'INSEE pour essayer de déblayer tout cela:
  • Tout d'abord, je m'étonne de découvrir sur ce tableau qu'une personne qui travaille à temps plein accumule en moyenne 41 heures de travail par semaine, et non pas 35. Certes, la moyenne de l'UE est à 41,9 heures, mais de nombreux pays très productifs sont en dessous comme l'Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas. Ce chiffre ne cesse de m'étonner, car cela signifie que nous bossons largement plus que 35 heures en moyenne.
  • Si tu continues sur ce tableau, tu constateras que 30,6% des Français bossent à temps partiel, ce qui doit forcément faire baisser la moyenne. En plus, si tu ajoutes les 10% de chômeurs qui ne travaillent pas, tu dois forcément obtenir un temps de travail moyen qui navigue entre 35 heures et ce chiffre de 41 heures. De plus, les chiffres du chômage restent très discutés: le mensuel Alternatives économiques indique le chiffre de 3103000 chômeurs, soit un chiffre encore bien plus lourd.

Donc, si on suit ce raisonnement, cela signifie que les gens qui ont un contrat à temps plein travaillent bien plus que les 35 heures légales, grâce aux multiples dérégulations menées depuis 2003, mais que le taux moyen de travail doit être inférieur, car 30% des Français bossent à temps partiel et que 3 millions de personnes restent sans emploi. La politique cohérente devrait donc être de créer du travail pour ceux qui ne bossent que partiellement ou pas du tout, plutôt que d'obliger ceux qui font déjà 41 heures à en faire encore plus.

Il y a quelques semaines, le 8 mai très exactement, Jacques Marseille, professeur d'économie très sarkozyste, avait reconnu sur France Inter, alors que les auditeurs le houspillaient, que le problème du temps de travail en France ne venait pas tellement du travail de ceux qui bossent, mais des chômeurs, encore très nombreux en France. Pour lui, notre problème était notre productivité au travail beaucoup trop importante. Si nous étions aussi peu productif que les Japonais ou les Britanniques, nous pourrions créer 5 millions d'emploi. Ce chiffre m'a assommé, et il est vrai en plus: si tu regardes ce tableau, fourni par Eurostat, tu verras que la France est le troisième pays le plus productif de la zone euro, avec seulement le Luxembourg, les Pays-Bas et la Belgique devant. A côté, le Royaume-Uni, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne sont derrières.

Donc, pour résumer et en regardant les statistiques, nous avons une situation en trois étapes:

  1. les gens qui ont un emploi à temps plein travaillent beaucoup mais un peu moins que dans beaucoup de pays de l'UE (41 heures contre 41,9 heures dans l'UE en moyenne)
  2. Les bons résultats de la France semblent s'expliquer par une productivité très forte, qui surnage par rapport à beaucoup d'autres pays européens, et qui est même supérieure à celle des Etats-Unis.
  3. Un chômage de masse se maintient et 30% des Français bossent à temps partiel.

Je ne sais pas ce que tu en penses, cher lecteur, mais je trouve l'idée de Marseille atterrante. Diminuer la productivité, c'est-à-dire réduire les qualifications et la compétence des travailleurs me semble ridicule. Par contre, si on maintient une productivité forte, je ne vois pas comment réduire le chômage dans les conditions actuelles de l'organisation du travail, avec une croissance toujours aussi molle.

En tout cas, une seule chose est sûre, c'est que sabrer les 35 heures ne changera rien là-dessus, et risque même d'accroître le taux de chômage avec la productivité actuelle, puisqu'on travaillera plus en étant toujours aussi productif. Je ne sais pas comment tu réagis cher lecteur, mais donne-moi ton opinion, qu'on en débatte enfin, et qu'on essaye de trouver une politique du temps de travail qui soit vraiment efficace pour que nous ayons tous, travailleurs partiels et chômeurs compris, une vie meilleure.

8 commentaires:

  1. Je vous découvre, et j'aime beaucoup le ton que vous employez.
    Les 35 heures survivront-elles ? Nous allons bien vite le savoir, le gouvernement souhaitant légiférer dès cet été.
    En revenant à l'assaut des 35 heures pour la seconde fois en 5 ans, la Droite remet en cause un acquis social. Nous risquons d'y perdre en productivité, en qualité de vie... Et pas sûre qu'on y gagne en terme de salaire ; si la durée légale hebdo de travail est révisée entreprise par entreprise, et non plus branche par branche, c'est la porte ouverte aux inégalités, la course aux bas salaires, etc...

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  2. Je n'ai pas assez d'éléments pour juger de l'utilité ou non des 35h pour la lutte contre le chômage, mais j'ai ouï dire qu'elle était limitée sinon inexistante.
    Ce que je sais, c'est qu'on n'est pas assez payés en France, qu'on nous pousse à faire des heures sups' sans forcément vouloir nous les payer, et que je n'ai vu dans aucun autre pays un tel manque d'harmonie entre patronat et employés.
    Alors mon constat est qu'il y a un problème, de part et d'autre.
    35h officielles mais 41h réelles? Alors pourquoi garder cette loi utopique si la réalité est toute autre? Pourquoi ne pas augmenter le temps de travail et par la même les salaires?
    Je suis prêt à travailler 40h même 45h personnellement si mon salaire suit.
    Le terme d'acquis social m'énerve un peu, car il est utilisé à tout bout de champs. 35h, congés pays, même combat? Je ne crois pas.
    Il faut arrêter de défendre son bout de gras, de toute façon il faut bosser, mais si rébellion il doit y avoir, alors faisons le comme il faut: patrons du cac40, essence trop taxée, bénéfices de 35milliards pour total en 2007, non développement d'énergies alternatives au pétrole autres que les biocarburants qui provoquent une hausse considérable du prix des céréales, spéculation sur les denrées alimentaires, et j'en passe.
    Je m'éloigne du sujet je sais mais j'en ai besoin.
    C'est partout que ça part en vrille, notre modèle économique se casse la figure, et nous on pense à notre temps de travail, ça m'énerve.
    Sinon aparté pour mon cher Mathieu.
    tu nous glisses gentiment des stats selon lesquelles les enseignant travaillent autant que les autres...
    Je ne m'attaquerai jamais aux enseignants car ils doivent être beaucoup plus considérés qu'ils ne le sont, et font un métier très difficile. Mais tu sais très bien que tu travailles environ moitié moins que moi. Pas vrai?

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  3. Je voudrais répondre à Manu en plusieurs points :

    - Je comprends très bien que tu veuille travailler plus pour gagner plus, c'est ton droit, mais je ne suis pas persuadé que ce soit le choix de la majorité des salariés français (je dis bien salariés, les + de 65 ans, qui ont fait la victoire de Sarko, sont d'un avis contraire mais vu qu'ils ne sont pas concernés par la question je leur propose gentiment de fermer leur gueule et d'aller crever, ils coûtent cher à la sécurité sociale alors qu'ils se rendent utile...)
    - Ce n'est pas en mettant la durée légale à 41h qu'on arrangera le problème, un patron qui te fait faire des heures sup' non payées t'en fera faire encore, c'est tout bénef' pour lui au final, plus ta durée légale est longue, plus il pourra abuser sans qu'il y ait de révolte...
    - Le système économique a perdu la boule et il s'écroule sur lui même, on assiste cette semaine à la première ébauche de grève mondiale à cause des hausses du prix des carburants, c'est pas en bossant plus qu'on va sauver le système français mais en demandant à nos "élites" de ranger leurs SMS et de commencer à bosser sur un système économique "autre"... et puis, commencer à bosser un peu leur fera découvrir les joies de l'activité professionnelle, ils changeront alors peut-être d'avis sur ce monde qui leur est si souvent étranger.

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  4. Sauf mon cher Fabrice que si je bosse légalement 41h, je serais payé 41h et non plus 35h.
    Et puis, oh espérence d'un nouveau système économique!
    On est dans l'utopie là...
    Je suis le premier à dire que notre modèle économique actuel est en trian de courir à sa perte, mais soyons réalistes, il ne changera pas, ou alors ça passera par une révolution, ce dont je n'ai pas vraiment envie. Vous si?
    On peut continuer en réformant, je n'ai pas la recette miracle, mais spéculation, milliards de dollars pour un seul homme patron d'une grosse boite, sont les problème majeurs aujourd'hui.
    En ce qui me concerne, mon salaire (1500€) n'est pas suffisant pour payer mes frais de route, et mes dépenses mensuelles habituelles. Je veux bosser plus longtemps et être payé en conséquence.
    On est bien d'accord que les 35h ont été mises en place pour contrer les chômage? Ca a été utile?

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  5. La question du temps de travail est complexe, et mérite que le débat soit d'un niveau élevé, évitant autant les raccourcis que les attaques personnelles. Je ne fais qu'utiliser des stats officielles que je peux référencer, et je serai de toute façon souvent d'accord avec vous sur le fait que les stats sont utilisables comme on le souhaite par qui le souhaite.

    Je discuterai de la question du temps de travail dans un autre billet, et particulièrement de son impact sur la création de richesse, qui ne se fait pas uniquement par le travail, et je tenterai de le démontrer plus tard.

    Je pense cependant que le temps de travail fait partie de l'ensemble du modèle, car c'est l'un des fondements du fonctionnement de l'économie. Il s'agit aussi de la base de la vie des citoyens dans leur ensemble. C'est en partant de la vie de chacun d'entre nous que l'on peut changer le fonctionnement de l'ensemble. Travailler beaucoup, pourquoi pas, si cela aide à améliorer les choses. Mais travailler plus comme on travaille aujourd'hui, tu viens toi-même de démontrer que c'est une inepsie et qu'il faut se poser la question.

    Devant ta dernière question, Manu, j'essaierai dans un prochain billet de vous décrire ce qu'est le temps de travail pour un prof, en sachant que je ne pourrai, dans beaucoup de cas, que m'appuyer sur mon cas personnel. D'autre part, je n'ai aucune envie de m'attaquer à d'autres professions en faisant cela. Si je cite souvent l'enseignement, c'est parce que c'est un métier que je connais, et dont je me permets de parler en connaissance de cause, pas pour faire pitié, susciter l'agressivité ou me vanter de quoi que ce soit.

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  6. Je voulais pas être agressif, du tout, mais je voudrais juste savoir ou est le vrai. Récits contradictoires amènent des questions.
    Je vais être très global, mais:
    -Flambée des prix alimentaires, du pétrole
    -Perte de pouvoir d'achat
    -Inégalités entre les classes sociales
    Je n'arrive pas à comprendre que l'objectif pour certains reste la qualité de vie par moins de boulot.
    Je m'en excuse, quand j'ai du mal à boucler les fins de mois, j'ai tendance à vouloir appuyer sur le champignon pour me renflouer, ce qui m'est impossible ici.

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  7. Je prépare une série d'articles sur ce sujet. Je suis en train de relire un peu d'économie, mais je suis sûr que la réduction du temps de travail peut aussi permettre d'améliorer le fonctionnement de l'ensemble du système économique...

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  8. Il n'y a pas que moi d'utopiste cher Manu, tu crois vraiment qu'en augmentant la durée légale du travail on va augmenter les salaires ? Là je crois que tu rêves, le patronnat n'a toujours pas fini de faire payer aux employés le passage des 39 aux 35h sans diminution de salaire, il sautera sur l'occasion pour expliquer que l'augmentation du temps de travail sans contrepartie n'est qu'un rééquilibrage des choses, que les salaires progresseront par la suite grâce aux gains de productivité gnagnagna, on a déjà vu de nombreux exemples dans l'industrie de ce genre d'attitude avec les chantages à la délocalisation du genre "maintenant c'est 40h payées 35 ou on délocalise"....

    Ah si, y'a bien les smicards qui auront une petite augmentation, et encore, ça va dépendre de leur branche professionelle, de leur taux d'emploi et de plein d'autres subtilités qu'on est bien en peine de comprendre...

    Enfin, pour finir, je sais que dans la fonction publique on est des fainéants payés à rien faire, que les profs bossent 6h par mois et qu'on est surpayés par rapports à nos diplômes, mais j'ai toujours cru que l'augmentation du volume horaire du travail correspondait (dans le privé, chez nous vu qu'on branle rien en 35h on fera certainement pas plus en 41) à un besoin de la clientèle, ou de production, si le volume des heures sup' a tendance à baisser, malgré les claironnages du gouvernement (voir le Canard de la semaine dernière), c'est bien que l'activité baisse, hors si l'activité baisse pourquoi vouloir augmenter le temps de travail de tout le monde ? pour les payer à ne rien faire ou à produire des stocks invendables ? ou bien alors, caché derrière l'argument "objectif", tout cela n'est qu'une expression d'un dogme politique, ce qui dans ce cas devrait avoir l'honnêteté de se dire.....

    Quand à l'invention d'un nouveau modèle économique, s'il est plus efficace et plus juste que l'actuel, pourquoi y aurait-il besoin d'une révolution ? L'Amérique du Sud semble nous montrer la voie dans beaucoup de domaines sur ce plan, et je n'ai pas eu l'impression que ces changements aient donné lieu à effusion de sang...

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