vendredi 30 mai 2008

L'annulation du mariage au tribunal de Lille classe la sexualité de chacun comme un domaine contrôlable par les autorités.

Ce matin, comme l'ensemble des Français, je me suis réveillé en entendant cette histoire hallucinante à la radio: un mariage venait d'être annulé par le tribunal de Lille parce que la femme n'était pas vierge au moment de la nuit de noces. Immédiatement, les différents journalistes n'ont pas hésité à nous balancer la religion musulmane de ce couple, avançant de manière insidieuse deux choses: les musulmans sont vraiment des gens rétrogrades; les juges de Lille ont fait preuve de faiblesse face au fondamentalisme, en particulier musulman. Je dois dire que je suis toujours aussi outré d'entendre les médias se ruer dans ce genre de clichés sans se pencher un peu plus sur l'affaire. Pourtant, il est évident que ce cas soulève de réelles questions, et je vais, cher lecteur, tenter de les débroussailler.


Donc, cher lecteur, reprenons les faits que nous rapportent les journaux. En avril 2006, un homme musulman épouse une étudiante de la même religion. Le mariage semble être basé sur l'idée que la femme est vierge. Lors de la nuit de noces, il découvre que ce n'est pas le cas. Les festivités s'interrompent immédiatement, et l'homme demande la nullité du mariage en prétextant qu'il y a un mensonge. Le code civil prévoit ce cas s'il y a eu erreur sur une qualité essentielle de la personne. Après tout, j'en suis presque à me dire que, en effet, si le mari fondait cela comme étant quelque chose d'essentiel dans ce couple, la décision est justifiée car elle a annulé un mariage perdu d'avance. Cette femme a reconnu le mensonge, et s'est sans doute libérée ainsi d'un mariage qui lui avait été imposée, car sinon, pourquoi mentir? Une question de mentalité? Une pression familiale? On n'en sait rien, et finalement, ce n'est pas grave.


Le vrai problème est ailleurs, dans le jugement du tribunal, et n'a rien à voir avec la religion des parties, car le cas serait sans doute le même avec des catholiques, des juifs, des orthodoxes ou des protestants rigoristes. C'est la nullité qui me pose un vrai problème. En prenant cette décision, le tribunal a considéré que la femme était la seule responsable de cette situation. On aurait pu penser qu'il prendrait en compte les éventuelles pressions faites sur elle, qu'il essaierait de se montrer indulgent avec cette femme, qu'il questionnerait aussi la vision du mari sur le couple et ce que représente l'engagement dans une société comme la nôtre.


Et pourtant, le tribunal a considéré que le mensonge, dans ce cas fondateur du couple, était tellement important qu'il justifiait la nullité. C'est là que le bas blesse fondamentalement, et ce sur deux points:


  1. Le tribunal vient de nous apprendre que le mensonge est moralement inacceptable dans le mariage républicain. Je crois que cela est grave. Dans la réalité, et nous le savons tous, cher lecteur, un couple n'est jamais immaculé. Nous fonctionnons tous avec nos petits mensonges, nos petits secrets, et c'est ce qui fonde aussi un couple. Quel conjoint n'a jamais rien caché à l'autre? Tu vas peut-être me dire, cher lecteur, que la sexualité, ce n'est pas rien. J'en conviens, mais dans une société évoluée comme la nôtre, est-il normal qu'on réclame d'une femme qu'elle soit exhaustive sur sa sexualité passée auprès de son futur mari? Réclame-t-on d'ailleurs la même chose à l'homme? Je n'en crois rien: la sexualité fait partie de l'intime, et je pense qu'un conjoint n'y a pas un accès libre. C'est ensuite à chaque couple de s'en arranger, et de vivre comme il l'entend. Si on voulait émettre une doctrine, on pourrait imaginer que la nullité d'un mariage ne peut être obtenu que si le mensonge met en danger la sécurité de l'autre. Le mari aurait dû démontrer ce risque. S'il n'y en a pas , l'annulation n'a aucun sens.

  2. Le tribunal vient ainsi de reconnaître qu'une question de morale qui ne concerne en rien la société permet de rendre nul un mariage. Personnellement, j'avais déjà dit dans un ancien billet que les intrusions de l'Etat dans la morale me posaient de vrais problèmes intellectuels et m'inquiétaient. Le fait que cet homme considère la virginité de son épouse comme une chose fondamentale le concerne, mais, je le répète, cette condition ne menace pas sa sécurité. Le tribunal affirme donc que cette morale toute personnelle peut être considérée par les institutions comme quelque chose qui justifie une nullité, une qualité essentielle de la personne. Donc, les juges estiment que l'Etat reconnaît la virginité d'une épouse comme une condition possible du mariage républicain. Pour moi, c'est une ineptie totale et cela cache une volonté de contrôle de nos autorités sur la vie privée. Dans ce cas précis, le tribunal aurait pu accorder le divorce à l'époux, mais à égalité et sans torts pour l'épouse (il n'y a pas adultère ici), d'autant plus si elle avait été mise sous pression par sa famille.

Alors, évidemment, on peut déplorer que des citoyens voient encore le couple de cette façon, mais ce cas n'arrive pas que chez les musulmans, et les médias sont sur cette histoire nauséabonds. Cette décision de justice concerne toute notre société et la volonté toujours présente d'avoir un contrôle sur l'intimité du citoyen qui existe chez nos dirigeants: il faut surveiller ces évolutions, cher lecteur, et tout faire pour s'en protéger.

mercredi 28 mai 2008

La formation des professeurs est à revoir, pas pour licencier et supprimer des postes, mais pour améliorer le service public.

Plus j'avance dans ma carrière d'enseignant, et plus la manière dont j'ai été recruté et dont j'ai été formé me pose un réel problème. Je vais ici développer, cher lecteur, des positions que tu n'entends pas souvent chez les profs, mais qui sont sans aucun doute des pistes importantes de réformes qui amélioreraient singulièrement le fonctionnement actuel de l'Education Nationale.
Si, cher lecteur, il te prenait un jour l'idée d'être professeur titulaire du secondaire, je peux te dire que tu t'engagerai dans un véritable parcours du combattant. Tout d'abord, il te faudrait au moins une licence, voire un master, pour être sûre que tu as des connaissances au moins minimum sur ce que tu dois enseigner. Ensuite, tu devrais affronter un concours d'une extrême difficulté. Malgré le fait que le métier soit de plus en plus dévalorisé, le nombre de candidats est toujours aussi important. L'an dernier, à l'agrégation d'histoire, pour une centaine de postes, près de 5000 personnes se sont inscrites: cela te donne un taux de réussite de 2%, pour une année complète de travail. Tu devras ensuite affronter un écrit très sélectif sur ta discipline, et l'Etat prend le double de candidats que de postes disponibles. Tu passeras ensuite des oraux sur ta discipline durant laquelle la moitié des sélectionnés sera éliminée. Et cela ne s'arrête pas là: tu seras placé à l'IUFM pendant un an, période durant laquelle tu enseigneras 8 heures par semaine tout en suivant une formation sur la pédagogie, que tu n'auras pas étudié auparavant. Enfin, tu seras titularisé et pourras commencer ta carrière.
Où est le problème, cher lecteur? Je te rappelais dans un billet précédent que tu avais sans doute connu des profs dans ta carrière d'élève que tu avais trouvé nuls, et que tu t'étais demandé ce qu'ils faisaient là. Je t'ai expliqué pourquoi cela arrivait chez les remplaçants contractuels. Cela arrive aussi chez les titulaires. En effet, comme tu viens de le lire, on ne vérifie jamais deux choses qui me semblent fondamentales. Tout d'abord, on ne regarde pas si un candidat a un bon contact avec les adolescents. C'est un vrai problème, et il est très difficile de virer un enseignant pour cela, car il y a beaucoup de subjectif là-dedans. Ces profs-là souffrent pourtant d'une maltraitance souvent violente des élèves, en particulier dans les bahuts difficiles. La deuxième chose est qu'on ne regarde jamais non plus si les enseignants aiment leur métier et se vivent comme des personnes qui aiment transmettre aux jeunes. Beaucoup de profs n'aiment pas ou plus leur métier, mais ils n'ont aucun moyen facile de changer de voie; notre formation professionnelle est faible, et l'Etat n'offre aucune facilité à un prof qui s'ennuie de partir décemment. Sachez que la mesure de Sarkozy sur le départ volontaire des fonctionnaires contre deux ans de salaire brut, ce qui pourrait permettre cela, n'est toujours pas appliquée. Enfin, les profs en souffrance, et ils sont nombreux, ne sont pas gérés par le ministère qui, au mieux, les ignore et au pire, les sanctionne.
Alors, que faudrait-il faire? Je propose ci-dessous quelques idées:
  1. Contrairement à ce qui est souvent dit, je pense qu'il faut maintenir un concours difficile au départ, car le niveau disciplinaire du prof doit être bon! C'est ce qui fait la force de notre Éducation Nationale, et cela doit être maintenu.
  2. Ensuite, la formation doit être modifiée fondamentalement. On n'a pas besoin de revenir sur les connaissances dans les disciplines, vérifiées auparavant. Je ne crois pas non plus qu'une formation comme elle existe aujourd'hui soit nécessaire. Il vaudrait peut-être mieux lancer directement le jeune prof dans l'arène, avec un service allégé au début et l'existence de prof-référents servant de conseils et de soutiens. La formation devrait se concentrer sur la pédagogie, la didactique de la discipline, le système de l'Education Nationale et sur les élèves eux-mêmes, par la rencontre avec des chercheurs et d'autres professions en contact avec les enfants. Les profs devraient aussi être obligés de voir les cours de collègues plus anciens qu'eux, pour voir des manières différentes de faire et se faire une idée sur leur identité propre de formateur.
  3. Le jeune prof devrait être inspecté très souvent, et sur de longues périodes, pour recevoir des conseils fréquents et être réellement évalué sur du concret. En effet, sache que l'inspecteur vient aujourd'hui en moyenne une fois tous les sept ans et qu'il nous évalue sur une heure!!! J'en reparlerai dans un futur billet.
  4. Au bout de cinq ans, il faudrait offrir à l'enseignant le droit de quitter le métier s'il n'arrive pas à gérer ou s'il n'aime pas, contre une formation ailleurs ou une prime décente. Malheureusement, pour vérifier si on aime ce métier, il faut l'exercer. C'est la même chose pour savoir si on apprécie de travailler avec les enfants. Il est par contre hors de question de pouvoir licencier sans faute grave: la protection du fonctionnaire est une garantie de la démocratie, et je ferai un jour un billet là-dessus.
  5. Enfin, il faut créer une vraie médecine du travail dans l'Education Nationale. Car (accroche-toi, cher lecteur) il n'y en a pas! Un prof peut être totalement dépressif, malade, dangereux pour les élèves, personne ne le voit et ne peut le vérifier. Si des médecins nous voyaient régulièrement, comme c'est le cas dans le privé, je suis sûr que certains profs pourraient être aidés et iraient mieux. Aujourd'hui, le médecin ne te voit qu'une fois, l'année de ta titularisation, vérifie que tu n'as pas d'albumine dans l'urine et te déclare bon pour le service! C'est un véritable scandale, pour un métier difficile et usant psychologiquement comme le nôtre.

Évidemment, ce ne sont que quelques pistes, et je n'ai pas la science infuse. De même, je ne sais pas comment faire pour qu'un enseignant se sente légitime à enseigner. Certains y arrivent sans problème et d'autres pas. Personnellement, j'ai mis six ans à me sentir bien dans mes chaussures avec cette fonction. Je suis incapable de dire ce qui a joué, et ce qui a aidé à me permettre d'être bien. Si quelqu'un a une idée...

mardi 27 mai 2008

Les raisonnements sur le droit de grève: travail sur les idées reçues.

Comme tu as pu le découvrir dans l'actualité depuis que Sarkozy est président, cher lecteur, les mouvements sociaux ne cessent de se développer un peu partout. Il y a certes les traditionnels comme les transports et l'Education nationale, mais aussi les pêcheurs, les taxis, les internes, les caissiers de supermarché. Ce développement général du mouvement social n'a pour le moment pas vraiment de succès, il faut bien le dire, quelles que soient ses demandes. Pourtant, on voit les médias de droite, mais aussi les bloggers, hurler contre ces grévistes qui nous assènent les considérations habituelles: "la France est vraiment à la traîne, notre pays est encore bloqué dans ses corporatismes, le service minimum est une obligation qu'il faut mettre en place rapidement, les enseignants qui laissent les enfants à la rue, les pêcheurs qui bloquent les ports, les transports qui nous empêchent d'aller travailler..."
Finalement, cher lecteur, le libéral moyen tente de te démontrer que le capitalisme ne peut réellement créer de richesses que s'il est le plus libre possible. Un gréviste, qu'il soit du privé ou du public, gêne le marché qui produit à cause de cela moins de richesses: de là à accuser les grévistes d'être responsables des retards de la croissance française, il n'y a qu'un pas que de nombreux bloggers n'hésiteraient pas à franchir, associant ceux-ci avec les 35 heures, les fonctionnaires et la fainéantise des chômeurs...
Pourtant, cher lecteur, il faut te rassurer, le libéral moyen ne tient pas du tout un discours nouveau. Dès 1791, la loi le Chapelier a interdit la grève, considérant que cela pouvait être un moyen pour les groupes de bloquer la liberté de l'entrepreneur. Le droit de grève n'a été légalisée qu'en 1864, et cela pouvait justifier à ce moment-là un licenciement. Ce n'est qu'en 1946 que la grève a été reconnue dans le préambule de la constitution, mais avec de sérieuses limites car il ne s'exerce que dans "le cadre des lois qui le réglemente". De nombreuses professions n'y ont pas droit, et il est régulièrement encadré. Toute une série de grèves sont interdites: grèves tournantes, occupations de locaux, grèves perlées... Finalement, contrairement à ce que disent les libéraux, on a presque l'impression que la grève est tellement révolutionnaire, tellement libérale au sens politique du terme, qu'il ne faut surtout pas la laisser se développer trop. Ils tiennent finalement un discours qui existait déjà en 1791, et ils apparaissent sous cette optique-là bien rétrogrades.
Pourquoi, vas-tu me dire, cher lecteur intrigué? Je te propose une analyse totalement personnel: les relations du travail, que ce soit dans la fonction publique ou dans les entreprises, sont totalement dictatoriales. Toi qui est salarié ou fonctionnaire, n'as-tu jamais remarqué que le patron détient l'ensemble des pouvoirs sur ses troupes? Que tu es, alors que c'est ta vie qui en dépend à cause du salaire qu'il te verse, en partie à sa merci? Que seul, tu ne peux pas obtenir grand-chose si tu es en désaccord, même si tu es le meilleur des salariés qui rapportent énormément à ton entreprise? Le raisonnement libéral considère que le salarié et l'employeur sont à égalité, ce qui est un mensonge énorme, et n'importe qui qui travaille le sait très bien. Ce n'est qu'en groupe, et si on menace l'activité, en créant un rapport de force, qu'il y a une chance de faire changer d'avis un employeur déterminé. Nul part en France, ni dans le public, ni dans le privé, les relations du travail ne sont équilibrés et pacifiés. C'est dommage, mais c'est comme cela aujourd'hui dans le capitalisme néolibéral.
Au total, je trouve déplorable qu'il soit impossible de marier démocratie et capitalisme. C'est triste et malheureux, et cela me confirme chaque jour que ce système doit être régulé, réglementé et encadré, et peut-être un jour abandonné, si on trouve mieux. Dans l'attente, il faut donc protéger le droit de grève absolument, car c'est très souvent dans le rapport de force que l'on trouve des solutions à des conflits sociaux. Ce n'est pas du tout un droit suranné, car si c'est le cas, alors, les autres droits de l'homme le sont tout autant.
Pourquoi un salarié ne pourrait-il pas cesser son travail pour protester? On me dira que cela menace le travail des autres et la survie de l'entreprise dans le privé, et la qualité du service public dans la fonction publique. Je riposte en vous disant que si les salariés se plaignent, c'est l'employeur qui en est responsable, car c'est lui qui détient le pouvoir. C'est fondamental et il ne faut pas l'oublier car on ne comprend pas sinon la plupart des mouvements. Or, pour les libéraux, le travailleur est un individu soumis, qui travaille et ne se plaint jamais, et, s'il n'est pas content, va vendre sa force de travail ailleurs. C'est une vision totalement réductrice de la démocratie, car le salarié peut aussi avoir sa vision de l'entreprise ou du service public qui devrait toujours pouvoir être pris en compte.
Alors, je veux tenter de te dire quelques petites choses sur le droit de grève:
  • Ce droit est constitutionnel et ne peut être limité, sauf si la sécurité des autres citoyens l'exige. Il doit être libre, et je suis personnellement contre les préavis, contre les déclarations avant la grève, contre les pressions des employeurs. Toutes ces obligations, sauf si la sécurité des autres citoyens l'exige, ne peuvent se justifier que par une volonté d'empêcher le salarié d'exercer son droit démocratique à la contestation, qu'il paie déjà par ailleurs par la perte de son salaire.
  • Évidemment, dans les services publics, tout cela doit être soumis à discussion. Je pense que ni une grève dans l'éducation, ni une grève dans les transports ne peuvent remettre en cause la sécurité des citoyens, comme cela serait le cas pour la police, l'armée ou les services de secours.

Alors, tu vas me dire, cher lecteur exaspéré: "Mais quand mon gosse me reste sur les bras, je peux pas aller travailler et je perd des jours de vacances! Quand mon train n'est pas là, c'est la même! Et là, tu me proposes de revenir là-dessus???" Eh oui, parce que c'est le seul moyen pour les services publics de faire passer leurs demandes, si tant est qu'ils y réussissent.

Alors, je te propose une vraie loi sociale. Si un service public est fermé et fait perdre une journée de travail à un salarié, et que c'est démontrable (par un courrier de l'administration en question par exemple ou du service public en question), je propose que l'Etat attribue les salaires retenus des fonctionnaires aux salariés lésés par des déductions sur les impôts, permettant ainsi aux fonctionnaires d'exercer leur droit de grève sans trop gêner les citoyens.

Par contre, que faire lorsque les pêcheurs ou les routiers bloquent les routes? Là, je pense qu'il faut maintenir l'interdiction dans la loi, mais que c'est toute l'habileté du politique de savoir quand il faut sévir et quand il ne faut pas, ce que le gouvernement actuel a apparemment beaucoup de mal à déterminer posément...

lundi 26 mai 2008

L'étrange stratégie de la gauche démocratique durant les élections: le cas de la Seine-Saint-Denis.

Il y a des moments où on peut se demander, cher lecteur, si les politiciens ont un réel contact avec l'opinion qu'ils essaient de mobiliser derrière eux. Je me demande beaucoup cela lorsque je suis le débat qui oppose en ce moment Ségolène et Bertrand sur le fait de savoir s'ils sont libéraux et qui révèle juste une chose: que ces deux leaders politiques pensent que la population ne connaît pas vraiment le sens de ce terme. Je sais, cher lecteur, que tu es habitué à me voir frapper assez violemment la droite actuellement au pouvoir. Pourtant, pour une fois, je vais un peu changer de cible.

Pour que tu comprennes bien ce dont je vais te parler, je peux te dresser un bilan de la situation politique de la Seine-Saint-Denis: globalement, le 93 vote très majoritairement à gauche, et a longtemps été une terre de conquête du PCF à sa grande époque. Il y a bien quelques bastions de droite, comme le Raincy par exemple, mais ils sont très minoritaires. Il s'agit donc d'une zone où les partis de gauche sont très peu menacés électoralement par la droite. La déroute sarkozienne des dernières élections municipales et cantonales a d'ailleurs consolidé la gauche, puisqu'elle a même arraché Aulnay-sous-Bois à l'UMP: seul le maire de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, qui navigue entre l'UMP et le Modem, a sauvé sa tête de manière assez nette alors qu'il dirige une commune traditionnellement à gauche.

Et pourtant, durant les dernières municipales, la Seine-Saint-Denis a connu un véritable psychodrame local au niveau politique: le PS a décidé de se débarrasser des restes de la grande époque du PCF dans la région. La cause semble en être simple: le PS savait qu'il avait la possibilité d'arracher le conseil général, à cause de l'évolution politique et sociale du département, au PCF, et Claude Bartolone, ancien ministre et député de la 6ème circonscription du 93, voulait le fauteuil de président du conseil général. La guerre a donc été déclarée, et, à part aux Lilas et à Montreuil (à cause de la présence de Dominique Voynet), les deux partis se sont royalement écharpés durant les deux-trois mois de la campagne.

Finalement, le résultat n'a pas été aussi dramatique pour le PCF qu'on aurait pu le croire. Certes, il a perdu Aubervilliers et Montreuil mais a sauvé la plupart des autres communes. Il a perdu le conseil général, mais c'était impossible statistiquement de le conserver, et on ne peut pas dire que le PCF a fait une campagne très offensive là-dessus. Donc, finalement, tout ce désordre n'a pas servi à grand-chose.

Mais moi, cher lecteur, cette débandade de la gauche me révolte. En effet, dans le passé, lorsque le PCF était stalinien, je pouvais comprendre que les deux mouvements ne s'entendent pas réellement. D'ailleurs, ils n'ont que peu gouverné ensemble, entre 1945 et 1947 seulement durant la période d'union sacrée de la sortie de la guerre. Ensuite, ils se sont affrontés de diverses manières et Mitterrand n'a pris des ministres PCF en 1981 que pour les ramener vers des idées moins radicales et pour siphonner leur électorat. Or, c'est durant cette période que, dans les villes du 93, les communes ont souvent été dirigées par des majorités d'union, alors que les cultures politiques étaient fondamentalement différentes voire contradictoires.

Depuis le milieu des années 1980, le PCF comme le PS ont bougé vers la droite. Certes, il reste des différences dans les plate-formes, mais il est clair que la rupture n'est plus aussi radicale qu'elle l'était par le passé. Je trouve que les alliances sont bien plus cohérentes maintenant. Donc, s'il n'y a plus de grandes différences idéologiques aujourd'hui (l'acceptation officielle de la démocratie par le PCF, car elle existait de fait, a quand même rapproché les différentes forces de gauche), c'est qu'on est passé à une lutte d'appareil, pour conserver les bastions et qui ne change à mon avis pas grand-chose à la vie des citoyens de ces communes.

Que je sois clair, lecteur agacé: je ne veux pas maintenir artificiellement en vie le PCF en lui permettant de garder des communes s'il ne peut gagner régulièrement les élections. Je pense même que cela empêche le parti de se remettre en cause et de renouveler sa doctrine. Pourtant, dans un contexte où la droite est hyper-offensive et où ses valeurs dominent la société, je veux bien que la gauche s'entretue, mais il faudrait aussi penser aux citoyens qui, pendant ce temps, doivent supporter les réformes du gouvernement et ont le fort sentiment que, si l'alliance PCF-PS revenait au pouvoir, on aurait pas vraiment mieux.

Alors, comment gérer les conflits internes à la gauche? Quelques idées pour les municipales:

  • Je crois qu'il ne faut jamais avoir de liste commune au premier tour d'une élection, sauf s'il est clair que les membres des partis ont défini une plate-forme commune d'action et que la droite est trop menaçante. C'est là à chaque mouvement de convaincre que ses idées sont les meilleures et qu'il est apte à gouverner.
  • Au second tour, il y a deux possibilités:
    • Soit les candidats ont pu bâtir un programme commun d'action qui permet à chacun de retrouver ses petits sans renier son identité. A ce moment-là, c'est le parti qui est arrivé en tête à gauche au premier tour qui prend la direction de la liste commune et qui prend ensuite le contrôle de l'exécutif s'il y a victoire.
    • Soit les candidats ne peuvent s'entendre, et les listes restent séparées, mais cela doit rester lié aux circonstances locales et ne doit pas être une stratégie générale.
  • Entre les élections, les partis doivent être sans arrêt en connexion, discuter des programmes et des idées, réagir ensemble aux mesures de la droite ou gouverner le cas échéant. Cela doit être fait dans le respect de chaque parti et en permettant à chacun de s'exprimer librement dans la gauche, y compris pour critiquer les autres s'il y a besoin. Il ne faut pas non plus qu'un parti écrase les autres, car la qualité du débat en serait diminué.
Là, c'est vrai que j'en veux plus au PS d'avoir axé sa campagne dans le 93 davantage contre le PCF que contre l'UMP. La gauche n'y a rien gagné, à part de perdre encore de sa crédibilité de force de gouvernement alternative à l'UMP. Le pire, c'est que cela se poursuit: il paraît que les maires PS ferment les bureaux PCF dans les mairies qu'ils ont emportées lors des deux dernières municipales. On est vraiment dans les bas-fonds de la politique, fut-elle de gauche...

vendredi 23 mai 2008

Comment l'Etat traite ses salariés et se débarrasse de ses responsabilités.

Enfin une véritable évolution dans l'Education Nationale! Le Parisien l'a annoncé cette semaine: une enseignante de 62 ans, qui enseigne au lycée professionnel Arthur Rimbaud de La Courneuve (93), devrait être licenciée. Le motif en est le suivant: insuffisance professionnelle. La collègue est passée la semaine dernière devant le conseil de discipline du rectorat, qui lui a notifié qu'elle avait contre elle quatre rapports d'inspection défavorables. Voilà donc un prof mauvais qui devrait quitter le système. A priori, cher lecteur, tu pourrais t'en réjouir: "on prend enfin en compte le fait qu'il existe de mauvais enseignants, et on va s'en débarrasser!"
Cher lecteur, sans faire d'empathie mal placée, je vais admettre que je te comprends. En effet, nous avons tous eu, par le passé, des profs mauvais. Certes, ils étaient très minoritaires, mais on s'en souvient. Ils étaient tellement mauvais qu'ils nous ont profondément marqués, presque autant que les bons enseignants qu'on a pu rencontrer. Alors, après tout, tant mieux. Mais non! Je vais me permettre, cher lecteur, de revenir sur le parcours de cette femme. Elle travaille depuis 21 ans dans l'Education Nationale et... hein? Comment cela? Mais oui, 21 ans, je ne me trompe pas, tu peux consulter l'article sur le Figaro (en lien sur la page). Je sais ce que tu penses, cher lecteur, car j'ai pensé la même chose: "Cette mauvaise prof a pu écumer les salles de classe pendant 21 ans et on a mis autant de temps pour la virer???" Mais oui, et je vais en rajouter. Cette collègue, qui n'était pas professeur titulaire au départ mais maître-auxiliaire (prof non-titulaire engagé dans les années 1980 et 1990 par l'Education Nationale pour pallier aux remplacements exceptionnels), a obtenu le concours interne nécessaire pour devenir prof en 1999. Donc, elle a encore pu exercer 8 ans sans que rien ne soit fait.
Cerise sur le gâteau, cher lecteur scandalisé, la collègue reconnaît ses faiblesses. A 62 ans, elle admet ne pas réussir à gérer les secondes professionnelles de Rimbaud, un des lycées les plus durs de France, et aurait bien voulu qu'on lui attribue un poste administratif quelque part pour pouvoir compléter les deux annuités qui lui manquent pour partir en retraite à taux plein.
Alors, je vais tenter de t'expliquer ce qui se passe, et te faire découvrir quelque chose qui ne cesse de m'étonner depuis que je suis dans cette grande maison. L'Education Nationale ne prévoit pas ses recrutements à l'avance. Mais oui, tu as bien lu: l'Etat n'est pas capable de prévoir de combien on aura besoin d'enseignants dans les 5 à 10 ans, temps nécessaire pour former correctement des profs. Pourtant, on pourrait supposer que les élèves aujourd'hui en maternelle seront au collège et au lycée dans quelques années, mais cela semble impossible. Chaque année, le ministère change le nombre de postes au concours, en fonction de considérations politiques diverses. Depuis 2002 et la grande théorie de suppressions des profs qui coûte cher, il y a très peu de postes ouverts, mais les besoins restent les mêmes, car l'Education Nationale ne perd que très peu d'élèves, et leur nombre remonte dans le primaire, ce qui veut dire qu'on aura besoin de profs dans le secondaire dans 5 à 6 ans.
Alors que fait l'Education Nationale pour compenser? Elle embauche des jeunes peu diplômés ou des gens qui n'ont jamais réussi à avoir le concours, qu'elle sous-paie et qui sont corvéables à merci. Au total, aujourd'hui, toi ô lecteur libéral, sache que l'Education embauche bien plus qu'elle ne supprime de postes, mais des gens incompétents et inexpérimentés, qui font baisser la qualité de l'enseignement. En plus, ces gens craquent souvent devant la dureté d'élèves qui pratiquent le bizutage des profs comme un art.
Alors, l'Education ne peut que peu virer. Un contractuel peut ainsi rester des années dans le système, même s'il est nul, et se faire finalement titulariser, car sinon, le système craque. Pourquoi l'Education Nationale rejetterait-elle des gens qu'elle a estimé bons pendant des années? C'est incohérent, et elle ne le fait pas, je te rassure (ou je t'inquiète...). En refusant de prévoir et en refusant de former correctement les enseignants, qu'ils soient titulaires ou contractuels, elle laisse travailler des collègues mal formés, parfois incompétents, et qui ont de gros problèmes dans leurs vies professionnelles.
Ce qui arrive à cette femme est sans doute une préparation à l'idée qu'on va pouvoir licencier des fonctionnaires, et c'est un acte politique. Elle est victime d'avoir été satisfaisante pendant 21 ans pour son employeur, qui s'est brusquement rendu compte de son existence. En plus, la mesquinerie est forte, car on sait très bien qu'à son âge, cette collègue ne retrouvera pas d'emploi et n'aura pas sa retraite à taux plein. Pour moi, le seul responsable d'embauche de profs incompétents est l'Etat. Cette femme a travaillé pendant 12 ans tout en étant incompétente apparemment, et elle a été titularisée. Si elle était incompétente, il n'avait qu'à pas la prendre. Un salarié ne peut devenir totalement nul au fur et à mesure, c'est impossible. Garder 12 ans quelqu'un en précaire, puis le titulariser, pour le virer 9 ans plus tard comme un malpropre, c'est inhumain. Si quelqu'un ne correspond pas à l'emploi, on ne le garde pas 21 ans pour le mettre dehors ensuite.
Ah, si, avant de donner des leçons aux entreprises, l'Etat se comportait lui aussi correctement...

jeudi 22 mai 2008

Comment sortir des problèmes liés aux Jeux Olympiques?

Décidément, les jeux olympiques sont un vrai problème. Certes, cher lecteur, le refondateur de ces rencontres sportives était un Français, Pierre de Coubertin, et les jeux se sont déjà déroulés à plusieurs reprises en France. Cependant, le Comité International Olympique (CIO), qui organise cette manifestation, nous a déjà infligé des jeux dans des pays géniaux et respectables: rappelez-vous de l'Allemagne nazie (1936) ou des jeux de Moscou en 1980, et on pourrait y ajouter les jeux de Mexico en 1968. Pierre de Coubertin était d'ailleurs un admirateur de l'Allemagne nazie. Devant cette déferlante de mauvais exemples, on peut se dire que les JO, décidément, on ferait bien de s'en tenir éloigné.


Et pourtant, camarade, il y a un gros problème: les JO, cela fait rêver! A chaque fois, de plus en plus de téléspectateurs se postent devant leur petit écran, et attendent de voir les athlètes courir le 100 m ou sauter à la perche. Lors des derniers JO, près de 3 milliards de personnes ont suivi la cérémonie d'ouverture. Pour une grande partie des sportifs, c'est l'aboutissement de toute une carrière. De plus, cet engouement entraîne de grandes rentrées financières pour les transnationales mais aussi pour les États qui organisent l'ensemble. Il y a donc des intérêts considérables derrière tout cela. D'ailleurs, la manne est telle que le CIO nous a vendu les JO en Chine comme une chance inouïe pour ce pays d'accéder au développement. Le pire, c'est que c'est sans doute vrai! La Chine avait déjà une croissance énorme avant l'annonce des JO, mais cela n'a fait qu'accroître le phénomène. Les Chinois vont donc bénéficier à l'évidence de cette manifestation. Le CIO est tellement convaincu de cette évidence qu'il vient d'attribuer les JO d'hiver de 2012 à la Russie, pour remettre la même opération dans ce pays en croissance.
Or, voilà que la Chine n'a pas suivi ses engagements. Loin de démocratiser, elle a poursuivi sa politique de répression: 6000 personnes ont été exécutées en 2007, et, depuis le début de l'année, la Chine a infligé aux Tibétains une répression brutale, gommée dans les médias par le tremblement de terre récent mais qui se poursuit malgré tout. Certes, elle avait promis devant le CIO de calmer un peu les violences, mais, franchement, cher lecteur, de qui se moque-t-on? A-t-on déjà vu par le passé une compétition sportive, même bénéfique économiquement, ramener la démocratie dans un État? Le gouvernement chinois est une dictature qui ne peut accepter aucune démocratisation, car les élites dirigeantes actuelles perdraient forcément le pouvoir. Il faut donc se rendre à l'évidence: la Chine n'a jamais voulu démocratiser quoi que ce soit, mais il fallait bien donner bonne conscience aux démocraties; le CIO a fermé les yeux parce qu'il se moque de la démocratie et qu'il y a vu une occasion de profit; les grands États démocratiques ont pensé exactement la même chose.
Le fait de voir nos chefs d'Etat jouer l'outrage me semble donc d'autant plus scandaleux. Alors, que faut-il faire. Quelques propositions et contre-propositions:
  • Certains ont proposé que les sportifs boycottent. Franchement, cher lecteur, va-t-on demander à des gens qui ne sont pas responsables du choix de la Chine et qui joue toute leur carrière ici de nous déculpabiliser de cette façon? C'est ridicule...
  • D'autres ont suggéré que notre président bien-aimé boude la cérémonie d'ouverture. Pourquoi pas, mais cela ne sauvera pas les Tibétains et c'est quand même d'un cynisme absolu de donner les jeux à un pays puis de bouder ensuite sans rien assumer. Il est vrai que les représentants français ont sans doute voté pour Paris à ce moment-là, candidate elle aussi, mais on a pas protesté non plus après le vote.
  • Et si on mettait en place des sanctions économiques? La Chine s'en fiche, et ce ne sera que du symbolique de toute façon.

En clair, et contrairement à ce que je disais des Birmans, je pense qu'on ne peut rien faire pour les Tibétains. On peut toujours recevoir le Dalaï-Lama à Paris, mais que faire de plus? Et pourtant, cher lecteur, j'ai mon idée. Il est évident qu'on ne peut charger les sportifs de faire de la politique. Il est évident aussi qu'on a pas à juger et à condamner à posteriori les choix du CIO auxquels on a joyeusement participé. D'un autre côté, on ne peut pas interdire les jeux aux dictatures non plus: ce serait faire de la belle morale internationale, que nous ne respectons pas par ailleurs, et nous rendre d'autant plus ridicule. Pour moi, dans cette affaire, c'est le fonctionnement même de la structure olympique qu'il faudrait revoir.

Alors, cher lecteur, je fais une proposition très simple et très claire: je propose à Nicolas Sarkozy de quitter le CIO. Cette instance, longtemps dirigée par un ancien franquiste reconverti, n'a rien à voir avec l'idéal démocratique du sport. Ne condamnons pas les pays qui sont choisis (on sait très bien ce qu'ils sont) et n'empêchons pas les sportifs français d'y aller (là, ils auront leur conscience pour eux) mais n'y participons pas, tout simplement. En plus, M. le Président, cela vous fera des économies budgétaires...

mercredi 21 mai 2008

Ambiance d'un lycée au petit matin...

Lorsqu'on est enseignant, contrairement à ce qui peut parfois se passer dans d'autres professions, la vie est remplie de nombreux petits rituels qui se répètent inlassablement, malgré des emplois du temps souvent variés et des journées jamais semblables.

Un professeur habitant la région parisienne consacre, comme c'est le cas de l'ensemble des Franciliens, un temps considérable à se transporter d'un point à un autre. C'est mon cas. Dans la plupart des cas, j'ai la joie d'emprunter trois modes de locomotion différents pour accéder à mon établissement scolaire. J'emprunte d'abord un bus, puis une rame de métro, et je termine par un petit trajet en tramway. J'ajoute à cela 10 minutes de marche à la fin du parcours. Ce parcours dure en moyenne 50 minutes et ne se déroule jamais de la même façon. Parfois, je rencontre des amis ou des collègues sur le chemin, et on papote. Parfois, je me plonge dans le journal du matin pour voir un peu ce qui se passe dans le monde. Parfois, je rive les écouteurs de mon ipod sur mes oreilles et je tente de me réveiller en écoutant de la musique, plus ou moins douce. Mais, tous les jours, dans tous les cas, à tous les coups, une sourde tension émerge. Lorsque le tramway stoppe à mon arrêt, cette tension commence à se manifester. Durant la marche qui mène jusqu'au lycée, elle est là, présente, et elle surgit réellement en passant devant les petits groupes d'élèves qui se pressent autour de la grille dès 8h00.

Arrivant en salle des profs, la tension nous accompagne toujours. Certains se ruent sur leurs cours, et se remémorent une dernière fois des séquences qu'ils connaissent déjà par coeur. D'autres se jettent sur la machine à café, qu'un collègue arrivé plus tôt que les autres a gentiment mise en route, et discutent de choses et d'autres autour de cet objet, presque un totem. Dans un coin, le représentant syndical tente de convaincre quelques collègues réticents de se joindre au prochain mouvement de grève, pendant que les retardataires râlent contre la photocopieuse, toujours bourrée au moment précis où on a besoin. Moi, j'évolue entre ces différentes catégories, indécis, mais la machine à café est souvent mon point de ralliement. L'heure tourne, impitoyable. Tous les profs présents, qu'ils soient jeunes débutants, confirmés ou à deux ans de la retraite, fixent leurs montres, et attendent que le moment arrive.

La cloche sonne. Toi, cher lecteur, qui a été à l'école il y a quelques années, tu imagines cette cloche agressive qui te faisait systématiquement sursauter. Eh non... L'école s'est humanisée. Maintenant, une sonnerie de type "gare" retentit. On s'attend à entendre une douce voix prononcer: "le train en partance pour Marseille se rangera voie B", mais non. Rien ne vient, on n'est pas sur le quai, et on sait tous qu'on doit y aller. Là, les groupes évoluent encore. Les profs angoissés courent vers le couloir menant aux salles de classe, et reviennent trente secondes plus tard, car, acte manqué par excellence, ils ont oublié leurs cours sur le coin d'une table. Un second groupe, plus calme, part environ deux minutes après la cloche. Quelques-uns continuent à siroter leurs cafés et attendent jusqu'à la seconde sonnerie, qui indique normalement que le cours doit commencer. Les fumeurs, qui stationnaient devant la grille de l'établissement pour se livrer à leur passion première, rentrent à leur tour dans l'établissement. Les retardataires, prof ou élève, toujours les mêmes, arrivent en courant deux minutes après la deuxième sonnerie, échevelés, et passent en trombe dans les couloirs, provoquant les mêmes sourires chez les enseignants et leurs élèves.

L'entrée dans le couloir marque le moment du trac ultime. Ça y est, je ne suis plus Mathieu L., je suis M. L., professeur d'histoire-géographie. Pendant quelques heures, je vais devoir jouer un rôle, celui de l'enseignant républicain. Je vais tenter de les intéresser à tous les sujets, même à ceux qui ne me passionnent pas. Je vais essayer de leur transmettre quelque chose. Je vais devoir leur dire d'arrêter de bavarder souvent, je vais devoir sévir parfois, et je vais, une fois de temps en temps, me mettre en colère. Ces images me traversent l'esprit pendant que je progresse vers ma salle de cours. Lorsque j'arrive devant elle, une partie de ma classe est déjà là. Les élèves sont tout aussi tendus que moi. Je leur ouvre la porte, je les regarde entrer en les saluant et je me demande dans quel état ils sont ce matin: ont-ils bien dormi? Vont-ils être disponibles, réceptifs ou incapable de se concentrer? Ont-ils vécu des choses depuis hier soir qui pourraient les perturber dans leurs apprentissages? Certains disent bonjour, d'autres sourient seulement, quelques-uns baissent les yeux et ne me regardent pas; juste un petit "...'jour" peine à se glisser entre leurs lèvres.

J'entre le dernier, pendant qu'ils déballent, plus ou moins vite, leurs affaires. Je vérifie les présents, puis j'attends le silence complet, qui, s'il vient vite, est un signe de journée studieuse, et, s'il ne vient pas, est un signe de fatigue extrême et de maux de tête en fin de journée. Là, il y a toujours un moment de flottement; un ange passe. Les élèves me regardent, stressés et se demandant ce que j'ai bien pu leur préparer. Je les regarde, rongé par le trac, en me demandant ce qui va bien pouvoir arriver aujourd'hui qui fera vaciller la belle mécanique que j'ai mise au point. Et, là, je commence la journée par ces mots simples: "Bonjour à tous, j'espère que vous allez bien".

En une seconde, toute la tension s'évacue, et on y va.

mardi 20 mai 2008

L'idée d'interdire le déficit budgétaire, ou comment se tirer une balle dans le pied et limiter la souveraineté du peuple.

Ah, cher lecteur, depuis quelques jours, tu entends la majorité parlementaire qui s'est enfin ressoudée. Ah, tu les vois heureux, fiers d'eux, d'avoir enfin trouver une idée simple, claire, évidente et qui séduira forcément les Français par sa logique implacable. S'agit-il de la volonté claire du président de la République de mener enfin le démantèlement de l'Education nationale, cette citadelle de gauchistes? Cela pourrait être, mais en fait, non. Il s'agit de cette proposition de réforme constitutionnelle qui traverse en ce moment les députés: interdire à l'Etat le déficit budgétaire.

Ah, quelle belle idée, cher lecteur. Enfin!!! Depuis le temps que les hommes politiques creusent le trou, et avec la dette immense que nous aurons à assumer, il fallait enfin une initiative qui marque les esprits. Après tout, cette mesure semble de bon sens. Elle devrait permettre d'éviter qu'un gouvernement irresponsable continue de creuser allègrement le trou en faisant des dépenses somptuaires et inconsidérées. En fait, je me dis presque qu'elle est directement causée par Nicolas Sarkozy. Celui-ci a continué d'accroître les dépenses, tout en sabrant joyeusement dans les recettes avec le paquet fiscal, la réforme des impôts et le relâchement de la lutte contre la fraude fiscale. Finalement, les députés de droite essaient de trouver quelque chose pour encadrer un peu le chef de l'Etat, et on pourrait s'en féliciter. On pourrait, en effet... Mais décidément, non, on ne peut pas.
Tout d'abord, cher lecteur, je trouve que les députés se moquent joyeusement du monde. N'oublions pas que, dans notre belle République, ce sont les députés qui votent le budget, et non pas le président de la République. Si ces députés avaient dit non à Sarkozy l'an dernier avec le paquet fiscal, le déficit budgétaire serait bien moins lourd. Alors qu'ils souhaitent relever le rôle du Parlement, les voilà obligés de bloquer le gouvernement de manière constitutionnelle, tellement ils n'arrivent pas à le contenir de manière législative. C'est là un bel exemple d'absence de responsabilité, et une preuve flagrante de la faiblesse de nos députés et de notre parlement dans son ensemble.
Devant cette lâcheté, les députés sont prêts à renoncer à un pouvoir économique considérable et à en priver le peuple. L'Etat est en effet un acteur important de la vie économique et sociale. Lorsqu'il investit, son rôle est primordial: construction d'infrastructures, développement de la recherche, des réseaux d'eau, des transports, de l'éducation, de la culture. Évidemment, tout cela coûte cher, mais, théoriquement, il y a ensuite création de richesse, croissance économique et amélioration des conditions de vie de la population. D'ailleurs, quand on écoute le débat actuel, on entend les journalistes différencier les investissements de l'Etat du fonctionnement. Il faudrait aussi séparer le fonctionnement des services qui produisent de la richesse (éducation, culture, recherche...) des autres. Mais, si on y réfléchit, existe-t-il réellement quelque chose dans l'Etat qui ne produit pas de richesse? Question que je laisse en suspens... Tout cela est en tout cas très idéologique, et je ne suis même pas sûr qu'il y a une théorie furieusement libérale là-dedans. Crois-tu vraiment, cher ami, que la majorité retoquera le budget de Sarkozy déficitaire l'an prochain, parce que c'est inconstitutionnel???
Une dernière chose découle de tout cela. En menant cette réforme, les députés cherchent aussi à imposer à la France le modèle libéral, mais de manière partielle. Que se passera-t-il quand un gouvernement de gauche voudra faire du déficit, en suivant les logiques keynésiennes? La droite saisira le conseil constitutionnel, et cela sera annulé. Par contre, si c'est la droite qui mène ce type de politique, la gauche ne s'y opposera pas car elle est pour! Résultat, la droite garde les mains libres alors que la gauche va avoir de gros ennuis dans le futur. Pourquoi, cher lecteur? Tout simplement parce que le conseil constitutionnel ne censurera une loi que s'il est saisi! Au pire, la gauche pourra saisir aussi sous la droite, mais, dans tous les cas, on va vers la paralysie générale!
Pour résumer:
  • Cette mesure illustre, si elle passe, la faiblesse du Parlement.
  • Elle tente d'appliquer à l'Etat la gestion de l'entreprise et un modèle vaguement libéral, et elle menace les capacités d'action de l'Etat dans l'économie.
  • Elle est dangereuse pour la démocratie et risque d'empêcher tout gouvernement à l'avenir de mener sa politique lorsqu'il est au pouvoir.

Donc, une chose est sûre, soyons contre, citoyens!!!

lundi 19 mai 2008

Intervenir en Birmanie?

Depuis quelques jours, nos médias, chers lecteurs, résonnent de l'écho de ce qui se passe en Birmanie. Quand on regarde la situation attentivement, une chose est claire: les Birmans n'ont vraiment pas de chance. En début d'année, une partie d'entre eux à tenter de faire vaciller le régime militaire en place dans ce pays depuis 1962, mais ce fut un échec cinglant. La communauté internationale a émis des protestations, mais rien de plus. Là, on se dit que la Birmanie doit être un pays sans réel intérêt. Sinon, les autorités américaines auraient déjà préparé une intervention militaire massive contre cette dictature infâme. Cela ne semble pas être le cas... Mais, en fait, si! La Birmanie est un pays pétrolier, dans lequel des grands groupes sont engagés, comme Total par exemple, toujours dans les bons coups avec les dictatures.

Le cyclone Nargis pourrait amener à des changements dans ce pays. En effet, une population affamée, sans aucune aide, pourrait très bien en profiter pour se révolter et mettre un terme à ce régime militaire délirant. Pourtant, la violence du régime semble empêcher toute révolte de ce type pour le moment. La catastrophe que connaît le pays l'explique aussi sans doute. Pour tenter de pallier son incurie, le régime a maintenu la fermeture de ses frontières et refuse de laisser entrer l'aide internationale. Tu as dû découvrir ce matin à la radio, cher lecteur, que le secrétaire général des Nations-Unies venaient d'obtenir... un visa pour se rendre sur place! Pour nous, pays développés, riches et militarisés, la question est claire: faut-il intervenir et entrer de force dans ce pays pour secourir la population, ou laisser la junte gérer la crise comme elle l'entend? Jusqu'à maintenant, ces interventions pour questions de catastrophes naturelles n'avaient jamais posé de problèmes.

En tant qu'humaniste, cher lecteur, tu te dis, à bon escient et de bonne foi: "ben, faut y aller, quoi! On va pas laisser les Birmans crever! On est le pays des droits de l'homme, et il serait bon de s'en souvenir quand même, une fois de temps en temps. Déjà qu'on laisse massacrer les Tibétains!" Oh, cher lecteur, comme je suis d'accord avec toi. Comme j'aimerai que nos marins, nos piou-pious, qui sont actuellement coincés devant les eaux territoriales birmanes, franchissent le Rubicon, détruisent cette dictature ignoble et apporte aide, soutien et vivres à la population locale. Notre valeureux Bernard Kouchner appelle d'ailleurs aujourd'hui la communauté internationale à l'action, dans Le Monde daté du 20 mai 2008.

Pourtant, pour une fois, je vais me mettre dans une position beaucoup plus objective, et donc cynique. Il y a plusieurs manières d'intervenir dans ce pays, et je vais tenter de m'y attarder:
  • Première option: on ne fait rien, on laisse les Birmans à leur sort et on rappelle nos navires. C'est sans doute ce qu'il y a de plus simple. Malheureusement, on continue d'être totalement inactif et de ne pas tenir notre place de démocratie développée qui éclaire le monde de sa lumière. En plus, on autorise un État à laisser sa population mourir sans intervenir, sous prétexte que ce n'est pas un génocide ou un massacre ici, mais une catastrophe naturelle. Dangereux précédent...
  • Deuxième option: on fait des pressions amicales et on tente d'obtenir que l'aide rentre. La Birmanie a déjà annoncé que les hommes ne rentreraient pas. Cela équivaudrait à laisser les tortionnaires récupérer l'aide, et s'en servir comme ils l'entendent, pour leurs proches ou pour la troupe qui doit bien être aidée aussi. Qui dit que nos sacs de riz arriveront aux personnes concernées? Rien ni personne...
  • Troisième option: on rentre en force. Nos soldats débarquent les vivres et l'assistance médicale de force, en créant un corridor humanitaire comme cela s'est déjà fait par le passé mais, à ce moment-là, deux nouvelles possibilités s'ouvrent:
    • Le régime s'écroule devant l'offensive internationale. Très vite, l'ONU doit prendre en charge un pays ravagé par 46 ans de dictature, sans leaders politiques solides et en pleine crise sanitaire. Immédiatement, les pays développés, qui sont intervenus pour sauver la population locale, s'empressent de se retirer devant les risques de dépenses et les menaces de la Chine, alliée fidèle de la dictature birmane. Personne n'assume, les Birmans se retrouvent livrés à eux-mêmes, sous la responsabilité d'une ONU sans moyen. Qui est prêt à assumer cette nouvelle catastrophe politique?
    • Le régime résiste et s'attaque à nos humanitaires, forçant une intervention militaire de l'Occident. La Chine nous menace. On risque un conflit majeur, et on ajoute aux Birmans le poids d'une guerre en plus de la catastrophe naturelle déjà arrivée.
Ce que je viens de vous faire, c'est une tentative de démonstration de la manière dont fonctionnent les relations internationales, dans un monde ou 75% des États sont des dictatures, et où les pays démocratiques ne peuvent décemment pas ravager toute la planète dès qu'une catastrophe ou une crise apparaît quelque part. Une seule conclusion: je ne voudrai pas être un Birman aujourd'hui, coincé entre une catastrophe naturelle, une dictature militaire délirante, un allié de celle-ci influent et surpuissant dans la région, et de voir au loin les navires internationaux qui attendent sans rien faire. C'est explicable, c'est cynique, c'est la réalité, mais c'est horrible...

Que
ferai-je, si j'étais président, reste la question à traiter ici. Franchement, cher lecteur, je pense que je choisirai l'option 3 et que je prendrai le risque, mais en avons-nous les moyens, nous, Français? Si j'expliquai que cette opération risque d'imposer des coûts considérables à la France, cher lecteur, souhaiterais-tu cette opération? Parviendrai-je à convaincre les autres États de se lancer là-dedans pour faire quelque chose en mutualisant les coûts? Là, je cale. Si quelqu'un a une idée...

vendredi 16 mai 2008

Merci Sarkozy, le débat droite-gauche est peut-être de retour.

Hier, notre président de la République a réussi un coup somptueux. Alors que la grève avait mobilisé un nombre sans précédent d'enseignants depuis de nombreux mois, dont 75% des professeurs des écoles, ce qui est vraiment énorme, Sarkozy est parvenu à occulter totalement le débat. En quelques phrases, en s'attaquant au droit de grève des enseignants, il a fait oublier les thématiques de la grève: éliminées les 11 000 suppressions de postes, enterrée la contestation des nouveaux programmes du primaire, abattues les craintes de la FCPE sur la qualité de l'enseignement dispensée aux enfants. Le terrain avait été préparé par les attaques de Xavier Darcos et d'Eric Woerth. Les médias se sont emparés de ces thèmes à toute vitesse, oubliant de rappeler que les profs faisaient grève, avec les lycéens, les parents et d'autres fonctionnaires pour la qualité du service public.


Une scène m'a d'ailleurs saisie: l'interview dans la soirée de G. Aschieri, secrétaire général de la FSU, premier syndicat chez les profs. Aschieri semblait presque sonné par la vague sarkozyenne. Il faut dire, cher lecteur, qu'à sa place, je l'aurai été aussi: avoir réussi à mettre dans la rue 300 000 personnes (alors qu'il y a 800 000 profs), à mettre en grève 67% de la profession, se dire qu'on a enfin réussi à créer un vrai rapport de force, et se faire balayer de cette manière, c'est quand même rageant. Je peux pourtant tenter une explication, qui me semble cohérente. Depuis 1981, les syndicats ont mis en place avec le pouvoir une mécanique bien rodée. Quand un problème surgit, on commence par râler un peu. Si le gouvernement reste ferme, on fait quelques manifs, quelques grèves, voire une grève reconductible. Là, le gouvernement ouvre des négociations et on s'arrange, en faisant des échanges de bons procédés. Mais, depuis 2003, tout a changé: plus question de négocier; on passe en force sur tous les sujets. Sous le deuxième mandat Chirac, le gouvernement n'a vraiment reculé que sur le CPE, après un mouvement très large et sans doute parce que Villepin n'était pas soutenu par sa propre majorité.

La période Sarkozy n'a pas changé cette logique. En 2007, les transports se sont heurtés à cela, et c'est aujourd'hui à l'éducation de s'épuiser sur le même mur. Sarkozy peut d'autant plus jouer les gros bras que les profs votent majoritairement à gauche, qu'il n'y a personne de crédible à gauche pour le réfréner et que les mouvements de profs réunissent toujours la droite, alors qu'elle vient de rejeter le projet de loi constitutionnelle (voir la une du Figaro sur "Darcos veut remettre les profs au travail"). Les syndicats mettent du temps à s'adapter, conformément à leurs habitudes social-démocrates.

Pourtant, je crois que Sarkozy vient de faire quelque chose de très intéressant. Il n'a finalement pas attaqué les causes de la revendication (même s'il les a balayées) mais il a frappé sur le droit de grève. Or, une chose est sûre: depuis l'échec de la grève des transports, l'éducation reste le dernier bastion où il est possible de résister à ce gouvernement et à sa politique de rétrogradation sociale. Si cette loi passe, c'est la fin des dernières grèves massives en France. On peut s'en réjouir, mais cela ne traduira nullement la fin des tensions sociales dans ce pays. De plus, cette initiative révèle encore plus que les objectifs de Sarkozy sont bien plus dans le service du capital et des forces qu'il alimente, que dans l'intérêt général.

On peut maintenant, dans l'éducation comme ailleurs à gauche, sortir de ce débat technique des postes pour arriver au débat des valeurs. L'éducation nationale porte des valeurs, consensuelles par ailleurs, que le sarkozysme rejette: l'égalité des chances, la lutte contre les inégalités et les discriminations, l'idée d'un idéal élevé de culture pour tous les citoyens. Devant ses difficultés à atteindre ces objectifs, la droite veut en profiter pour la briser. Attention, citoyen, car l'un des lieux où des valeurs différentes de celles du sarkozysme (individualisme, inégalité, effort et travail, consommation, perte du sens de l'intérêt général) existe encore, est sur le point de se faire balayer. Est-ce un des moments pour que la gauche sorte de son sommeil et recommence à réfléchir, à diffuser ses valeurs et à imaginer une société meilleure? Oh, comme je l'espère...

mercredi 14 mai 2008

Le service public doit être gratuit, efficace et irréprochable... C'est pas contradictoire, ça???

Un petit billet d'humeur cette fois-ci. J'ai longuement hésité à vous parler du rejet de la loi OGM, des jeux olympiques, de la situation du Liban ou de la grève de la fonction publique de demain, mais j'ai une autre idée.
Aujourd'hui, j'ai eu l'occasion de rester pendant deux heures devant l'entrée d'une gare du RER en proche banlieue parisienne, pour des raisons associatives. Lorsque nous sommes arrivés, nous avons découvert que l'ensemble de la ligne E était totalement perturbé par un "incident de voyageurs". En langage politiquement correct, cela signifiait qu'une personne avait choisi de mettre fin à ses jours en se jetant sous les rames d'un train. Il s'agit d'une manière horrible d'en finir, même si on a finalement très peu de chances de se louper. Me demandant ce qui se passait, j'ai interrogé une salariée de la SNCF qui m'a expliqué qu'une personne s'était suicidée vers 15h30 (il était 18h00) dans une autre station, que le corps avait été enlevé et que la police menait maintenant une enquête sur place qui prendrait encore une heure environ. Le trafic avait été coupé une heure, puis les trains avaient repris lentement leurs trajets.
Je veux donc bien préciser les choses: cet incident était lié à un problème extérieur à la SNCF. L'agente n'avait aucune raison de me mentir de toute façon. Environ 20 mn plus tard, le premier train arrive et sort alors une foule de voyageurs énervée. Et là, ça n'a pas raté, je suis sûr que tu sais ce qui s'est passé, cher lecteur: une dizaine de personnes harponne la cheminote et lui fait une scène pas possible à cause de ces retards inacceptables. Je dois te dire, cher lecteur, que j'étais outré.
Tout d'abord, les voyageurs semblaient considérer que la situation était la faute de la SNCF. En effet, comme on le voit tous les jours dans le train, le RER et le métro, de grands panneaux invitent le voyageur déprimé à se jeter sous les rames, pour faire faire des économies à la Sécurité Sociale. Ensuite, les mêmes voyageurs trouvaient inacceptables que la police gêne le trafic. Ah, la police... C'est sûr que les flics, ma bonne dame, ne sont jamais là quand on a besoin d'eux. Par contre, pour nous empêcher de voyager tranquille, ça, y a du monde et en plus, ils prennent leurs temps... Je me disais aussi qu'il faut bien, à un moment, retirer les restes du voyageur, et que, de fait, ça doit prendre du temps, d'ôter tous les morceaux d'une personne qui est passée sous trois ou quatre wagons (le temps que la motrice freine). Je suppose que le voyageur serait outré de s'asseoir sur un morceau d'un autre voyageur: c'est impoli... Et pourtant, un certain nombre de nos concitoyens trouve semble-t-il normal de se venger sur le salarié de la SNCF, dès qu'il le peut, et d'exprimer son mécontentement.
Alors, c'est vrai, voyageur, que tu as perdu du temps de ta journée, que tu aurais bien voulu aller à ton entretien d'embauche, arriver à l'heure au travail, pouvoir profiter de ta journée de repos. Tu as dû attendre, et cela t'énerve. Cependant, tu es tombé sur un hasard de la vie. Ca aurait pu être le terme de ta vie aujourd'hui, et cela mérite le calme et le respect. Si tu avais pris ta voiture, tu aurais peut-être perdu autant de temps, ou tu aurais eu un accident mais comme c'est toi qui conduit, tu n'en veux pas aux autres. Eh bien, je te le dis, citoyen, prend un peu ton mal en patience. Tous ceux qui ont voyagé à l'étranger savent que, si notre société nationale de chemins de fer n'est pas parfaite, c'est bien l'une des meilleures du monde, et des moins en retard. Il est quand même hallucinant de lui reprocher un suicide!!! J'ajouterai même que, si c'est un incident technique qui survient, c'est aussi normal. Le matériel n'est pas infaillible, et une panne arrive toujours. Cela arrive aussi à ta voiture, à ton frigo, à ta TV, à ton ordinateur, et c'est normal. D'ailleurs, ça te pose autant problème, mais là, tu n'as personne à qui t'en prendre...
Voilà donc la contradiction flagrante du citoyen français. Il veut que les services publics soient parfaits, efficaces, irréprochables, et gratuits!!! Franchement, citoyen, arrête de rêver. Et puis, reste zen un peu: tes colères injustifiées sont pénibles, et nous font passer aux yeux du monde pour des gens puérils.

mardi 13 mai 2008

Quand l'éducation influe sur l'économie: le cas des vacances scolaires.

Aujourd'hui, j'ai envie d'un sujet, beaucoup, mais alors beaucoup plus léger.

En cette époque de tensions dans mon administration, je me posais la question de l'organisation de notre temps de travail. Personnellement, je ne suis pas un fanatique du travail à outrance, loin de là. Une société où le travail salarié prend toute la vie de l'individu doit vite devenir pénible. Pourtant, je suis persuadé qu'il est possible, sans supprimer de postes et sans dégrader la qualité des cours, de donner autant de cours aux élèves de ce pays en les fatiguant moins. J'ai une idée lumineuse: si on réorganisait les vacances!!!

Drôle d'idée, vas-tu me dire, lecteur! Voilà que le privilégié va remettre en cause ses sacro-saintes vacances au nom de ses élèves? Pas vraiment, car je me demande si cela n'améliorerait pas aussi ma vie. Je m'explique. Aujourd'hui, les élèves ont théoriquement, sur 52 semaines, une période de cours de 30 semaines. Cela signifie qu'ils sont en vacances 12 semaines, et donc, nous aussi. Il suffirait d'étaler un peu plus les cours: l'idée serait de supprimer quelques jours de vacances par-ci par-là. Si j'étais ministre, je décreterai qu'un élève n'a pas à recevoir plus de six heures de cours par jour, alors qu'un élève de lycée reçoit en général de sept à huit heures par jour. Cela signifierait qu'il faudrait rajouter 4,5 semaines de cours si on ne veut pas supprimer d'heures. Ce n'est finalement pas tant que cela. Aussi, je proposerai de supprimer 3 semaines durant l'été (de toute façon, la plupart des salariés ont entre 2 et 4 semaines l'été), de virer les vacances d'avril (avec tous les ponts de mai, c'est supportable) et de décaler celles de février en mars, et, enfin, de passer celles de la toussaint à deux semaines, car tous les profs savent que c'est un moment de grande fatigue pour les élèves. Je trouve que bosser moins de la journée mais plus étalé ferait du bien aux élèves, mais aussi aux profs, qui verraient moins leurs élèves chiants chaque jour. Evidemment, cette remise en cause de l'accord de 1950 imposerait de revoir les salaires des enseignants qui sont aujourd'hui payés sur dix mois de travail et non sur douze, mais tout se négocie.

En plus, cette réforme permettrait de reculer le bac dans le mois de juin, ce qui éviterait que les secondes, comme c'est le cas aujourd'hui, soient en vacances dès le début du mois de juin. D'ailleurs, je le signale au passage, les déclarations de Darcos sur le bac sont fausses. En effet, le début du bac a bien été décalé de quatre jours, mais les secondes finiront leurs cours au même moment, car leurs commissions d'appel ont été laissées aux mêmes dates. Les premières et les terminales ne viendront pas plus, car le bac approche. De l'art de faire de fausses réformes. La différence est que les profs de lycée ne feront rien une semaine de plus: vive le progrès!!!

Pourtant, cette refonte des vacances n'est pas pour demain. Et pour cause: la France est le premier pays touristique au monde. Cette puissance économique fonctionne en partie grâce aux nombreuses vacances des écoliers français. Il est donc hors de question, pour les lobbies du tourisme, influents auprès des députés, de remettre en cause les vacances telles qu'elles existent, et surtout pas celles de février et d'avril, vitales pour le ski.

Ce qui me surprend, c'est que notre pays est capable de justifier la mise d'emploi du temps difficiles pour des jeunes, et parmi les plus chargés au monde, dans le but de répondre aux besoins de l'industrie touristique. Je sais que le tourisme rapporte en France, et j'espère que ce choix en vaut la peine.

lundi 12 mai 2008

Une des contradictions du libéralisme: le rôle de l'Etat.

Il y a quelque chose que je trouve terrible depuis la fin du marxisme-léninisme, c'est le consensus général de notre société autour de l'idéologie libérale. Alors que la fin du bloc de l'Est aurait dû nous amener à une démocratie apaisée et à un pragmatisme plus grand, nous nous sommes lancés en courant dans la direction inverse. Il est dommage que nous soyons toujours obligé d'aller aussi loin dans un sens pour se rendre compte qu'on aurait pu réfléchir un peu avant.
Je suis sûr, cher lecteur, que tu connais même vaguement les fondements du libéralisme. Il faut différencier avant tout le libéralisme politique du libéralisme économique. Cette deuxième vision dit que le marché est toujours plus efficace grâce à l'effet positif de la concurrence. L'Etat a cependant une place dans le libéralisme: il doit assurer ce qu'on appelle les fonctions régaliennes. Ainsi, cher lecteur, pour un libéral pur sang, l'Etat doit battre monnaie, entretenir une armée pour nous protéger de l'extérieur, entraîner une police pour protéger l'individu de l'intérieur et faire respecter les droits fondamentaux de l'homme, rendre la justice et doit prélever un impôt pour faire fonctionner tout cela. Tout le reste est du ressort des individus qui ont à se débrouiller par eux-mêmes pour survivre. Cette doctrine s'accompagne d'une morale sur la valeur de l'effort et du travail, mais d'un effort purement productif.
Pourtant, je trouve qu'il y a dans tout cela une contradiction fondamentale. Les libéraux reconnaissent que seul l'Etat peut détenir le pouvoir de la violence. On pourrait pourtant pousser leur doctrine jusqu'à considérer que l'individu a aussi à assurer sa sécurité par lui-même, car l'Etat risquerait de profiter de cette possibilité pour s'arroger un pouvoir menaçant nos libertés. Il est tellement difficile de contrôler la police et l'armée, et cela se voit régulièrement (voir les rapports d'Amnesty International sur les pays développés). Loin de s'engager jusque-là, comme le font les anarchistes, les libéraux sont prêts à remettre leurs droits entre les mains de la force publique. Cela veut donc dire que les libéraux admettent que l'Etat est indispensable, car sinon, ce serait le désordre au niveau de la sécurité. A partir de là, si l'Etat est capable de gérer un domaine aussi sensible de la meilleure manière possible, il est évident qu'il peut gérer tout le reste.
En effet, un Etat peut vous embêter dans votre vie courante de multiples façons: il peut prélever des impôts, ne pas vous rembourser à temps vos soins, peut vous tracasser avec son administration, peut vous gêner avec ses fonctionnaires en grève... Mais, un policier ou un militaire peuvent te tuer, c'est-à-dire (accroche-toi, cher lecteur car on arrive au noeud) mettre un terme à ton existence, sans que tu puisses t'y opposer, puisque seul l'Etat a le droit à la violence. Les libéraux ne sont donc pas prêts à confier leur santé ou leur éducation à l'Etat mais sont prêts à lui confier leurs vies? On a l'impression de marcher sur la tête.
Et pourtant, en réfléchissant bien, non! Les libéraux reconnaissent que la défense personnel de chaque citoyen aboutirait à une situation dangereuse pour l'individu; l'Etat est alors nécessaire. Dans ce cas, pourquoi la gestion de la santé n'est-elle pas équivalente? Celle de l'école? Celle de la culture? Au total, les libéraux se contredisent car ils ne veulent pas voir disparaître totalement l'Etat, alors que toutes les autres idéologies qui ont traversé XIXe et XXe siècle le veulent (marxisme, anarchisme, socialisme...) à l'exception notable des fascismes divers. Ils considèrent que l'Etat peut définir quel est le droit pour la sécurité, mais qu'il en est incapable pour le reste. Nos hommes politiques sont donc totalement incompétents et uniquement capable de travailler sur le violence. Malheureusement, ils ne peuvent se lancer dans des choses trop complexes, comme les retraites, la santé, l'éducation, les transports, l'énergie...
Je te lance donc un défi, Ô toi libéral convaincu: je te propose de me démontrer pourquoi l'Etat doit s'occuper de l'armée, de la police et de la justice et serait incapable de gérer le reste sans devenir tyrannique. Je veux que tu m'éclaires. Si tu arrives à me convaincre, je te le jure, je me convertis.

Et si on se débarrassait de la morale? Le cas de Frédéric Minvielle.

La semaine dernière, Frédéric Minvielle, un homosexuel français, a été déchue de sa nationalité française pour avoir épousé son conjoint néerlandais. La justice a fait ressurgir ce vieux débat qui continue de parcourir la société française. Franchement, je commence à en avoir marre.

Depuis le travail de Bonaparte, premier consul et surtout dictateur, et de son ami Portalis, l'un des principaux rédacteurs, le mariage est, pour le code civil, l'un des points fondamentaux du code civil français. Il était, à l'époque, un fondement de la société et de la moralité. Progressivement, il s'est séparé de ses aspects moraux, car les mœurs ont évolué. Certes, si tu te maries, cher lecteur, tu devras prêter serment de ne pas tromper ton conjoint, de l'assister et d'élever vos enfants. On sait quand même que les choses ont bien changé, et que tout cet aspect ressemble plus à du folklore qu'à autre chose. Si on regarde bien, le mariage est plus maintenant un système de contrat, qui permet à un couple de se sécuriser au plan financier, de changer de régime fiscal et de préparer une retraite plus avantageuse pour le membre du couple qui survivra à l'autre.

Pourtant, ce qui montre que le mariage n'a pas perdu de son sens moral, malgré tout, est cet attachement fort de tout une partie de la population à l'aspect hétérosexuel du contrat. J'admets, cher lecteur, que j'ai du mal à comprendre que les homosexuels mènent une telle lutte pour accéder à un contrat qui a toujours été un symbole de la morale la plus rétrograde et de l'inégalité entre les sexes, mais, si la majorité des homos veut y accéder, on ne peut que répondre oui, à partir du moment où on refuse à tous les couples non-mariés les privilèges du mariage. Les avantages sont importants, et le PACS, même s'il a été amélioré, ne les regroupe pas tous.

Alors, tu vas me dire: "Eh, mais attention, si on autorise le mariage aux gays, ils vont pouvoir adopter des gosses!!!". Là, je te réponds, cher lecteur, ne sois pas hypocrite. Tu sais très bien que de nombreux homos adoptent déjà en se présentant à l'administration comme célibataire. Tu sais très bien aussi que l'argument qu'un enfant élevé par des homos sera homo, si c'est ce qui t'inquiète, ne tient pas non plus, car tous les homos d'aujourd'hui sont enfants d'hétéros... Surtout, on ne peut pas priver les enfants d'une famille qui les aimera. Cela suffit à résoudre le problème et à autoriser les homos à adopter, en les soumettant aux mêmes contraintes que tous les couples hétérosexuels.

Pourtant, si j'étais au pouvoir, je ferai autrement. Je retirerai le mariage des mairies et je le transformerai en un simple contrat entre deux individus, dont on se fout du sexe, permettant de gérer les aspects financiers du couple. Je le ferai signer chez un notaire avec déclaration aux administrations. Libre ensuite aux croyants de faire toutes les cérémonies qu'ils veulent. Pour moi, la relation amoureuse n'a pas besoin d'un contrat et ne concerne que les membres du couple, et j'estime que le citoyen n'a pas à aller jurer de sa moralité devant un élu tout aussi amoral que lui. Laissons la morale hors de l'État le plus possible, s'il vous plaît.

J'espère que la France sera condamnée pour cette décision en tout cas. La raison est au-dessus de M. Minvielle en lui-même. La France vient de considérer que la loi d'un autre État, pourtant démocratique, n'était pas à prendre en considération. C'est quand même nous qui imposons à nos homosexuels d'aller se marier ailleurs et qui leur infligeons l'insécurité, puis qui allons ensuite les condamner quand ils vont dans les pays qui les traitent mieux. Cela veut donc dire qu'on vient de dire aux Pays-Bas qu'ils donnent le mauvais exemple en étant plus démocrate que nous: nous sommes pourtant les premiers à hurler sur nos voisins lorsqu'ils sont moins avancés que nous. On est finalement dans la même situation qu'au début des années 1970, lorsque les Françaises allaient se faire avorter en Belgique, et c'est ridicule. J'en ai marre que sur les questions morales, la France ait parfois des attitudes qui nous font ressembler à certains États du centre des États-Unis.

Si on voulait faire progresser un peu l'Europe, on pourrait créer une clause du "mieux-disant démocratique", qui obligerait les États à se soumettre progressivement au droit le plus avantageux. Cela pourrait fonctionner de la manière suivante: "Un État ne peut condamner un de ses ressortissants pour un acte interdit sur son sol mais commis dans un autre État où il est autorisé, à partir du moment où le droit dans ces autres États est plus avancé au plan démocratique que dans l'État du ressortissant." Évidemment, c'est très subjectif, mais cela permettrait à certains problèmes bloqués en France, ou ailleurs, d'avancer plus vite. En 1999, nous étions innovants avec le PACS, nous sommes maintenant à la traîne...

Personnellement, j'inclurai les aspects sociaux dans cette clause, mais bon, exigez que les Polonais aient la même protection sociale que nous, en plus d'autoriser un mariage homosexuel, c'est limite marxiste.

jeudi 8 mai 2008

De l'usage de la culpabilité en politique (partie 2): défranchisons la Sécurité Sociale!

Alors, cher lecteur, je vais commencer sur le premier de ces quatre points. Depuis 1945, l'assurance-maladie est l'une des trois branches de notre sécurité sociale. Le principe idéologique en était simple: il s'agissait d'assurer à tous une couverture-maladie qui permette à la très grande majorité des citoyens de ne plus être dépendants de leurs revenus pour se soigner. Cela a permis de réduire la part dans le budget des ménages de la santé, et a participé à la forte hausse de la consommation durant les Trente Glorieuses. Certes, cette assurance se paie: chaque salarié, retraité et entreprise verse une partie de ses revenus dans les caisses de la Sécurité Sociale, mais le bénéfice en est immense. L'espérance de vie des classes moyennes et des pauvres est passée de 65 ans en 1945 à 79 ans aujourd'hui, et a pu bénéficier des immenses progrès de la médecine. De plus, le coût en a été vite gommé dans les années 1950 par la hausse des revenus et l'inflation dans les années 1950, et les foyers de l'époque l'ont vite oublié.

Hélas, cher lecteur, la Sécurité Sociale va mal financièrement, et particulièrement sa branche maladie. Si on écoute Sarkozy, il semble bien que les malades, devenus négligents et laxistes, abusent fortement de sa bonté. Pourtant, quand on se penche un peu sur les ouvrages qui traitent du problème, on constate que les causes du déficit sont nombreuses et ne sont pas que liées aux dépenses en antidépresseurs des Français. Bien au contraire, les causes apparaissent d'abord structurelles: hausse de l'espérance de vie qui accroît la durée des soins des personnes âgées, coût de plus en plus important des traitements médicaux modernes (sur les cancers par exemple), prise en charge des personnes dépendantes de plus en plus chères (car, là encore, les gens vivent de plus en plus vieux). Mais il n'y a pas que cela, cher lecteur! Les rapports sur la Sécurité Sociale, par exemple de la Cour des Comptes, soulignent aussi les choix politiques de nos gouvernements: ceux-ci ont cherché à ne pas augmenter les cotisations sociales pour permettre d'accroître les disponibilités en capital des entreprises et relancer l'économie vacillante de la France. Enfin, il ne faut pas oublier que la situation sociale pèse lourd. Les cotisations sociales sont prélevées sur les salaires et leur stagnation pèse sur les recettes de la Sécu, alors que les traitements et les médicaments sont touchés par l'inflation. Et que dire des deux millions de chômeurs et des trois millions de travailleurs précaires, qui coûtent autant voire plus que les autres, et ne rapportent rien aux caisses? Tu peux donc constater, lecteur attentif, que les causes de trou sont multiples, et ne peuvent se résumer à la simple décadence des pratiques médicales des Français.

Pourtant, le discours du président a un succès certain. L'idée simple de la responsabilité des citoyens a l'avantage de dresser les personnes qui ont un bon comportement contre ceux qui n'en auraient pas. Alors, je vais tenter de rentrer dans cette logique. Imaginons que je sois un individu normal, avec un mode de vie normal. Je conduis un peu trop brutalement, et, un jour de malchance, je m'emplafonne dans une autre bagnole, je me blesse et je blesse un autre conducteur. A ce moment-là, on peut dire que je suis responsable de ma blessure et, qu'en plus, j'ai blessé une autre personne. Dans ce cas précis, la Sécurité sociale doit-elle rembourser mes soins, ou exiger que je paie? Là, cela semble simple, mais je pourrais toujours arguer que j'étais inattentif, qu'en ce moment, c'est dur au boulot, que je pensais à ma femme qui est malade, que j'avais simplement autre chose en tête ou que j'ai vu passer une jolie fille sur le côté qui m'a détournée de la route. En plus, je n'avais jamais eu d'accident avant. Cela promet de beaux procès en perspective.
Autre exemple: je suis un grand fumeur et je développe un cancer des poumons. Cela est simple: je clope, je suis coupable! Mais non, voyons, avec la pollution, les substances qu'on respire en permanence, les ondes qui nous traversent, mon état psychologique, je pourrai démontrer de mille manières que ce n'est finalement pas forcément de ma faute, et que c'est démontrable en plus!

En clair, ce discours de la responsabilité ouvre une boite de Pandore terrible. Il est quasiment impossible de déterminer les causes exactes de la quasi-totalité des affections. Dans tous les cas, les responsabilités sont au moins partagées. Les employeurs en sont bien conscients, eux qui considèrent que la Sécu doit prendre en charge les affections du travail dont ils sont en partie responsables et qu'il ne peuvent parfois pas éviter, je le reconnais (pour toi, employeur qui te sentirait agressé par mon discours). La doctrine de la responsabilité prise en charge par la collectivité est donc la seule qui tienne la route: elle permet à tous de se faire soigner, évite le recours à des procédures juridiques complexes, et capte finalement moins de capital que le système d'assurances privées (14% du PIB des Etats-Unis contre 9% de celui de la France) ce qui augmente les liquidités disponibles. Les franchises ouvrent une brèche vers cette logique-là, et, il n'y a pas à dire, c'est dangereux.

Alors, c'est vrai, cher lecteur, cela implique que tu acceptes de payer pour les autres. Mais, dis-toi qu'ils paieront pour toi lorsque tu seras malade, y compris les fumeurs, les alcooliques et les chauffards.

Reste à savoir comment rééquilibrer les comptes sans baisser les prestations. Pour moi, en ayant lu un peu sur ce sujet de par mon parcours professionnel et en suivant l'actualité, je proposerai plusieurs idées ci-dessous:
  • Tout d'abord, il faut à mon avis revoir les financements avant tout. On pourrait d'abord taxer plus les entreprises qui sont à l'origine de maladies du travail plus importantes ou qui ont un haut taux d'accident du travail. Cela les obligerait à réduire les frais en tentant de mener des politiques plus cohérentes.
  • Il faut taxer l'ensemble des revenus, et pas seulement ceux du travail. Tous les revenus du capital doivent être concernés par les cotisations sociales. Cela permettrait une nette hausse et dégagerait un peu de l'épargne considérable qui n'a cessé de croître depuis les années 1970. De toute façon, les capitalistes y récupéreraient une santé gratuite, ce qui les intéresse aussi, plutôt que de payer des assurances-santé privées et des frais médicaux importants.
  • Il faut aussi fusionner l'ensemble des caisses et des mutuelles dans le régime général et rembourser à 100%. Il me semble aberrant que nous entretenions une multitude de modes de remboursement et de salariés qui rendent le service inégalitaire.
  • Il faut ajouter aux ressources de la Sécurité sociale un certain nombre d'impôts qui vont actuellement dans les caisses de l'Etat. Ainsi je propose de détourner la taxe sur les tabacs entièrement sur la Sécurité sociale, de même que sur les alcools et tout produit qui dégrade la santé des citoyens, tout en n'interdisant rien, car on est libre de se détruire après tout. Je propose aussi que si l'on invente une taxe sur la pollution, une partie aille à la Sécu à cause des frais occasionnés, en particulier sur l'essence. Je sais ce que tu vas me dire, cher lecteur: "encore plus de taxes sur l'essence!!!???" De toute façon, il faudrait bien réussir à s'en passer, alors, autant la rendre chère au maximum possible.
  • Et puis, et je crois que c'est lié, il faut qu'on accepte de relancer la dynamique salariale. En dehors de détourner une partie des capitaux de l'épargne vers la consommation, cela permettrait une hausse des cotisations sociales et donc de la Sécurité sociale, car j'imagine qu'on ne parviendra jamais à taxer beaucoup le capital.
  • Une dernière idée que j'ai relevé me pose question et je te la soumets. Il s'agit de laisser aller le déficit et de faire jouer la planche à billet, relançant ainsi l'inflation. Là, j'admets que je suis démuni au niveau intellectuel en économie pour savoir ce que cela aurait comme impact sur l'économie. Si quelqu'un a une idée là-dessus, qu'il en fasse profiter les autres. Sache toutefois que c'est interdit par le traité de Maastricht, et qu'il faudrait de la détermination à un politicien pour se lancer là-dedans.

Évidemment, il ne s'agit que de quelques pistes que j'ai trouvé intéressante et qui permettent de sortir de la responsabilité uniquement individuelle. Le jour où on sera capable de dire systématiquement d'où vient une affection, on pourra y revenir, mais j'espère que cela n'arrivera jamais, car, là, vive l'avènement de la tyrannie et de la moralité.